Mansour Gibraïl Atallah
Né en 1901, Arménien catholique de Mardine, il arrive à recueillir des nouvelles des soldats musulmans et des Kurdes : Mgr. Maloyan décoré, détails sur la prison et la mort après le refus de l’apostasie. Il a remis une déposition écrite.
Rédacteur de ces lignes : Mansour , fils de Gibraïl Atallah, né à Mardine en 1901, âgé de 86 ans.
Lorsque j’ai eu onze ans, mon père m’a envoyé pour mes études, au Collège des Pères Franciscains à Alep. Après trois ans, c’est-à-dire en 1914, je suis retourné à Mardine pour passer le congé d’été.
Lorsqu’en juillet 1914 la première grande guerre commença, je n’ai pas pu retourner pour compléter mes études. Je suis resté chez mes parents jusqu’en avril 1915. Les calamités et les persécutions des Chrétiens, et spécialement de la communauté arménienne commencèrent.
Durant cette période, les hautes autorités de la Sublime Porte, en vue de cacher leurs mauvaises intentions de massacrer et de disperser la nation arménienne, conférèrent à Monseigneur feu Ignace Maloyan une décoration d’honneur, qui brillait sur sa poitrine quand il rencontrait les dignitaires et les hautes autorités. Et quand Il arrivait aux postes des autorités, un détachement de l’armée le recevait en lui rendant les honneurs, afin qu’il ne s’aperçoive pas de leurs mauvaises intentions. Par de telles mesures, elles cachaient leurs intentions.
Deux jours avant la déportation du convoi, la malice, gardée secrète dans leur coeur, commença à se dévoiler. L’on se mit à perquisitionner les maisons des Arméniens, les chambres de l’évêque et des prêtres, à la recherche d’armes, sous prétexte que l’évêque et son diocèse les cachaient pour les employer, prétendait-on, contre l’autorité turque. Après une minutieuse et sévère perquisition, on n’a rien trouvé.
En avril 1915, le moment de dévoiler leurs mauvaises intentions arriva. Voilà qu’un jour, les soldats dits « Khamsine » se mirent à circuler dans les marchés et les maisons, et à attraper tous les Arméniens, dont étaient Mgr. l’évêque Maloyan et les prêtres du diocèse et à les rassembler dans la citadelle militaire du siège du gouvernement.
Étant adolescent et petit en âge, (et par la miséricorde de ces tyrans là) on m’a autorisé, à moi et à mes semblables, à visiter les prisonniers et à leur porter des provisions pour la nourriture et les besoins et de l’argent ; car les gardiens nous disaient qu’ils iraient, à savoir les prisonniers, pour réparer les routes.
Dans la prison se trouvaient mon père Gibraïl, mes oncles, mes cousins paternels, mes oncles maternels : pas besoin de les énumérer et d’en donner les noms. Mon père m’a demandé de lui apporter des nouvelles au sujet de mon oncle paternel Mikhaïl Atallah qui résidait avec sa famille à Diarbakr, en Turquie. Je suis allé à la maison du nommé Darwiche Hamad Racho, voiturier qui faisait le service entre Mardine et Diarbakr, et je lui ai demandé au sujet de mon oncle paternel. Il m’a répondu : « Ils l’ont tué et voici ses vêtements ». Je les ai pris et je suis retourné, mais je n’ai pas pu rapporter à mon père cette calamité, les gardes ne m’ont pas autorisé à m’arrêter, mais j’ai entendu les cris et les demandes de secours qui venaient de l’intérieur de la prison. Ce jour-là, la nouvelle s’est répandue que les prisonniers seraient déportés à Diarbakr pour les faire travailler dans la réparation des routes.
Effectivement, le lendemain, lorsque de la terrasse nous attendions leur déportation, nous avons vu passer le convoi. Ils étaient liés les uns aux autres, quatre à quatre, et devant eux, Mgr. l’évêque Maloyan lié avec les prêtres. Des soldats étaient à cheval au devant du convoi et quelques soldats l’entouraient.
À partir de mai 1915, on commença à déporter les femmes et les enfants. Le premier convoi fut massacré, puis le second. Ensuite, les autorités annoncèrent que la Sublime Porte a gracié les Arméniens. On acheva alors la déportation, sans massacre et sans effusion de sang, par la route de Ras-el-Ayn, et de là à Alep par le train.
En 1918, nous sommes retournés d’Alep à Mardine pour reprendre nos biens en Turquie. En cette année d’amnistie, les nouvelles furent répandues par les quelques Kurdes et soldats « Khamsines » qui avaient assisté aux massacres, ce qui arriva aux hommes déportés de Mardine sous prétexte de les faire travailler à réparer les routes. Avant l’arrivée de ces hommes à Cheikhane, une partie en fut détachée et tuée, puis une autre fut massacrée.
À l’arrivée de ceux qui en restèrent avec Mgr. l’évêque et quelques prêtres à l’endroit nommé Zirzawane, le chef responsable, nommé Mamdouh Bey, les arrêta et proposa à l’évêque d’embrasser l’Islam, à savoir de renier ses croyances chrétiennes ; par cela uniquement, il méritait d’être gracié, autrement il serait tué, lui et toutes ses ouailles. Monseigneur n’a fait que refuser la proposition (à savoir celle de Mamdouh) et demanda au dit Mamdouh de lui accorder quelques brefs moments pour accomplir ses devoirs religieux. Mamdouh les accorda à Mgr. l’évêque qui commença la prière et la consécration du pain et du vin. C’est alors que se forma, entre les Chrétiens et le corps des soldats, une colonne englobant de lumière les Chrétiens et couvrant d’ombre et d’obscurité les soldats. Puis l’évêque donna la communion à ses ouailles. Et lorsqu’il termina ses saintes fonctions, il demanda aux soldats barbares et aux kurdes d’accomplir leurs buts sauvages, en tuant et en massacrant. Pas un d’eux n’en échappa.
Selon les dires des quelques Kurdes et soldats qui assistèrent à cette atroce calamité, si l’évêque et les Chrétiens avaient voulu échapper et s’enfuir, ils l’auraient pu, car la colonne qui apparut alors leur donnait la possibilité de fuir, malgré toutes les précautions et les équipements dont la charge a été confiée pour exécution.
C’est ce que j’ai vu et c’est ce que j’ai entendu de la bouche des Chrétiens. Ma plume et ma mémoire sont incapables de dire beaucoup plus à ce sujet.