Mgr Théophile Joseph Rabbani (1889-1973), un Témoin oculaire rescapé des massacres de Mardine
Dr Raymond Melki *
25 janvier 2014
Au cours des années 1972-1973 j’ai rencontré, pour la première fois, Mgr Rabbani, alors qu’il se trouvait depuis déjà quelque temps, âgé et malade, au couvent du Christ-Roi, à Zouk Mosbeh (Liban), entouré et soigné grâce à la bienveillante sollicitude des sœurs de la Croix.
C’était dans le contexte de ma profession médicale, puisque depuis environ deux ans, je venais d’installer mon cabinet médical de neurologue à Beyrouth, rue Badaro. C’est à ce titre que je fus appelé à son chevet.
J’ai trouvé un homme acceptant avec patience sa lourde épreuve physique. Il avait un regard vif, des traits de visage volontaire. Il conservait malgré tout une écoute attentive et une bienveillante attention à son interlocuteur.
Longtemps évêque syriaque catholique du diocèse de Homs (Syrie), il avait la réputation d’un ardent et zélé pasteur , exigeant, fuyant les honneurs, menant une vie sobre et dépouillée. Son intransigeance, doublée d’un cœur charitable, le fit élire dans les années 1965-1966 porte-parole des évêques catholiques de Syrie. Lutteur infatigable, il s’était opposé à toute atteinte aux libertés d’enseignement dans les écoles chrétiennes de Syrie.
Suite à mes visites, il a voulu me témoigner avec délicatesse sa reconnaissance en m’offrant le recueil rassemblant les Homélies et Sermons de sa vie pastorale « Al Zikra Al Abawiya » (Mémoire paternelle) dédicacé de sa main, que je garde dans ma bibliothèque. J’avoue l’avoir parcouru, sans l’avoir lu dans son intégralité, étant par ailleurs pris par mes occupations professionnelles et n’étant pas encore tenaillé par la cause de nos Martyrs de 1915 !
Je découvre, quarante ans passés, grâce au site du Père Léonard (1881-1915) créé par Farés Melki, l’émouvant sermon qu’il prononça en 1938, il y a déjà 75 ans, dans la cathédrale Saint Georges des Syriaques catholiques de Khandak al Ghamik à Beyrouth, dans laquelle il exhortai t instamment les responsables religieux d’instruire, auprès du Saint Siège, la cause de béatification de tous les Martyrs d’Arménie et de Mésopotamie tombés lors de la première guerre mondiale.
Il n’est pas étonnant de le voir faire cette demande, restée sans lendemain, quand on apprend que le jeune Père Rabbani faisait partie d’un convoi qui échappa à l’épreuve du feu, lui qui goûta à l’humiliation et à la torture, précieux témoin oculaire du Martyre d’un bon nombre de ses compatriotes et de ses frères dans la foi. C’est cette même souffrance qui le détermina toute sa vie durant à devenir un ardent et zélé pasteur, à l’instar des premiers disciples du Christ.
La guerre terminée, le Père Rabbani rejoignit, en haute Mésopotamie, la ville naissante de Hassaké, déguisé en bédouin, pour échapper aux hordes qualifiées par le Père Ishac Armalé d’ « ennemis de l’Humanité » dans son livre « Al Qouçara ».
Il poursuivit son apostolat à Hassaké où le rejoignirent les vagues des migrants chrétiens chassés par la guerre et dont il était devenu le premier pasteur dans cette nouvelle vie.
Devant tant d’héroïsme, comment ne pas penser que le Christianisme en Orient a encore devant lui des JOURS GLORIEUX !
* Neurologue. Mgr Flavien Mikhaïl Melki, évêque syriaque catholique d’Al Jazira (sud-est de la Turquie), martyrisé au mois d’août 1915, béatifié le 8 août 2015, est son grand oncle.
ndlr : Dans ce site deux pages sont consacrées à Mgr Rabbani. La première est le texte complet du sermon prononcé dans la cathédrale en 1938 et la seconde est son témoignage devant la Commission d'enquête du procès diocésain de Mgr. Ignace Maloyan .