Mme Elisabeth Renault
17 novembre 2014
P. François-Marie-Dominique Berré est l’un des trois Pères dominicains de la Mission de Mossoul réfugiés à l’évêché de Mardine chez Mgr. Jibrayel Tappouni, vicaire patriarcale des Syriaques catholiques. Leur témoignage est une grande source d’information sur les massacres des chrétiens orientaux durant la première guerre mondiale. Le rapport du P. Berré est une analyse profonde sur les causes des massacres.
Mme Elisabeth Renault de France, dont le P. Berré est le grand oncle de sa grand mère, travaillant sur la généalogie familiale, nous envoie des photos de son grand parent accompagnées du texte complet du sermon lors de ses obsèques, prononcé par le Fr. Marie-Albert Janvier des Frères Prêcheurs et publié dans « La Croix » du jeudi 2 mai 1929 .
Tout en remerciant Mme Renault de sa coopération volontaire, je recommande la lecture de ce long sermon qui apporte de nouvelles informations sur la vie de ce grand homme à talent de peintre, tout dévoué aux Missions étrangères et qui a donné sa vie pour la protection des minorités chrétiennes d’Orient et pour la propagation de la foi catholique parmi les peuples de toute race et croyance. Voici le texte du sermon suivi de quelques photos :
François Berré naquit à St Méen Le Grand, au diocèse de Rennes le 13 septembre 1857. Il fut élevé par un père et une mère profondément chrétiens, par deux tantes que l’on regardait comme des anges de charité : Mlles Fauchoux. Il fit ses études primaires chez les frères de Lamenais, et ses études secondaires au Petit Séminaire de sa ville natale.
Dans cette dernière maison, on remarqua de bonne heure, son assiduité au travail, la distinction de son intelligence, l’aménité de son caractère, la sincérité de sa piété.
Dès cette époque, il manifestait un goût prononcé pour la musique et la poésie. Ses inspirations se ressentaient de son origine bretonne, on y voyait la note douce, mélancolique et même un peu plaintive qui est naturelle à la race armoricaine.
Il n’oublie jamais le pays de son berceau. Son vœu était d’y revenir, de s’agenouiller dans la vieille église gothique où il avait été baptisé, de revoir les cloîtres antiques où il avait passé sa vie d’écolier, les vastes cours où il avait joué, les grands marronniers et les tilleuls parfumés à l’ombre desquels il s’était reposé. Il aimait à se rappeler les noms, les physionomies de ses compatriotes, de ses professeurs, de ses condisciples.
Un jour, il apparut, dans la petite cité, revêtu de la dignité archiépiscopale, bénissant les personnes, les foyers, les tombes, les âmes, les cœurs. Ce fut pour lui et pour tous une fête dont le souvenir ne s’est pas effacé.
Au lendemain de sa rhétorique, il entra à notre noviciat d’Amiens, y reçut l’habit et le nom de frère Marie- Dominique. C’était à l’automne de 1877. Le 7 novembre 1878, il prononce ses premiers vœux et fut envoyé au scolasticat de Flavigny (côte d’Or). Il y demeura jusqu’au 5 novembre 1880. À cette date nous fûmes chassés de nos couvents par les décrets Ferry. L’opération terminée, nous nous rassemblâmes à l’église du village. Le Frère Berré étant à l’orgue, nous chantâmes le Magnificat ; puis les théologiens dont le Frère faisait partie se réfugièrent à Volders, près d’Insbrück (Tyrol autrichien), dans une maison que nous avaient louée les Pères Servites. Pendant ce temps, les philosophes et les novices simples demandaient asile à l’Espagne. Dès le début, le Frère Berré fut moine jusqu’au cou. L’obéissance est par excellence la vertu des religieux, la vertu qui entraîne toutes les autres perfections. Aussi l’Ordre des Prêcheurs ne formule qu’un vœu : le vœu d’obéir, dut on en mourir, à Dieu, à la Vierge, à Saint Dominique, aux supérieurs. « Promitto obedientiam usque ad mortem ».
Le Frère Berré resta scrupulement fidèle à cet engagement. Respectueux des moindres détails de la Règle, il accepta les sacrifices, les privations, les austérités qu’elle impose. Il assistait ponctuellement à l’office de jour et de nuit, il observait les jeûnes nombreux, l’abstinence perpétuelle que prescrivent les Constitutions. Il fallait faire appel à l’autorité pour qu’il prit les dispenses nécessaires à sa santé.
Silencieux, recueilli, laborieux, pénitent, il consacrait son temps à la prière, aux sciences ecclésiastiques ; on respirait en sa société de ferveur que rien ne venait troubler. À Amiens, à Flavigny, au Tyrol, le climat était rigoureux, la table pauvre, le régime sévère. Le Frère Berré était content de tout.
Ordonné prêtre à Volders le 20 août 1882 par Mgr. Lion archevêque Dominicain de Damiette et délégué apostolique de Mésopotamie. Il termina ses études théologiques à la fin de 1884.
Au cours de l’été de cette même année, il donna une preuve significative de son esprit d’obéissance.
De passage à Volders, le P. Thomas Faucillon, alors provincial de Paris, manda le jeune religieux dans sa cellule.
« -Cher Père, lui dit il, avez-vous quelquefois pensé aux Missions étrangères ?
– Jamais, mon Père.
– Eh bien, voulez vous retourner dans votre cellule, vous agenouiller devant le cricifix et consulter Notre Seigneur.
– Je n’ai pas besoin de le consulter Mon Père, je suis sûr de sa réponse.
– Que vous répondra-t-il ?
– Que je dois partir sans hésitation si vous me le demandez.
– Merci cher Père. Préparez vous à prendre le chemin de Mossoul. »
Le 28 septembre suivant, le Père Berré s’embarquait à Marseille, sous la conduite du Père Duval, préfet de Mission, et en compagnie des P. Bonté, Bigué et le Crosnier, tous morts aujourd’hui.
À Mossoul, le Père Berré ne regarda point en arrière, il s’appliqua entièrement aux besognes qu’on lui confiait. Il apprit l’arabe, exerça son ministère auprès des enfants, des religieuses, des fidèles. Il réussit rapidement à connaître l’esprit, le tempérament, les tendances des populations, des tribus, des sectes qui, en ces contrées, se disputent l’influence.
Il s’occupa spécialement, en qualité de sous-directeur et de professeur, du Séminaire syro-chaldéen fondé en 1880 par le Père Lion et le Père Duval et destiné à former le clergé indigène (le P. Sébastien Scheil, frère du célèbre orientaliste, le P. Vincent Scheil, fut longtemps à la tête de ce Séminaire). Il applaudissait à toutes les initiatives dont nos Pères avaient l’idée et il supportait gaiement le dur régime auquel on est condamné dans ces pays où la chaleur est dévorante, les approvisionnements malaisés, sans compter que fréquemment les tremblements de terre, les épidémies, la famine, les inondations viennent ajouter aux difficultés de la vie.
En 1895, Léon XIII désigna comme archevêque de Beyrouth et comme délégué apostolique en Syrie, le Père Duval. Le Père Berré devint son secrétaire. Là comme partout, il se signala par son dévouement, par sa sagesse. Il entretint avec toutes les autorités civiles ou religieuses, avec l’Université, avec les évêques orientaux, les relations les plus agréables.
Mgr. Duval étant mort le 31 juillet 1903, de tous côtés on demanda que le Père Berré lui succédât. Le gouvernement de M. Combes refusant de s’occuper de la question et de faire les démarches nécessaires, le Saint Siège ne put exaucer ce désir. Le Père Berré géra quelque temps les affaires de la légation, vécut plusieurs mois dans l’intimité d’un autre Dominicain, Mgr. Marengo, archevêque de Smyrne . Celui-ci voulait le retenir près de lui, nos supérieurs jugèrent préférable de le rendre à Mossoul. Il y retourna et y fut peu après nommé chef des missionnaires. Il s’acquitta de cette fonction en s’attachant à toutes les œuvres existantes, en s’efforçant de leur donner un nouvel essor.
Son rêve le plus cher était de compléter ces œuvres en répandant le véritable Évangile chez les nestoriens et en créant des écoles professionnelles. Le P. Rhétoré entra dans ses vues, s’établit à Achitha, forteresse du nestorianisme, et commença, non sans succès, l’instruction des habitants. En 1914 tout était prêt, les locaux et les professeurs, pour l’ouverture des écoles professionnelles, mais la guerre éclata. À ce moment, la Mission était en pleine prospérité. Les Séminaires comptaient de nombreux élèves, les enfants des deux sexes recevaient un enseignement soigné, les Dominicaines de la Présentation dirigeaient avec autant de zèle que d’intelligence, en outre des écoles, des ouvroirs, des patronages, des orphelinats de jeunes filles ; des Tertiaires Dominicaines appartenant aux familles des environs faisaient l’école dans les villages en attendant de se former en congrégation, que sais-je ? L’avenir semblait assuré.
L’homme propose et Dieu dispose. La guerre s’étendit bientôt à la Turquie. Deux Pères indigènes seulement obtinrent l’autorisation de rester dans le pays : le Père Louis Sayeh et le Père Hyacinthe Boudjukian. Les autres, ainsi que les sœurs de la Présentation, furent bannies de Mossoul. Comment dire les vexations, les tracasseries dont ils furent l’objet. Il faudrait la plume d’Homère ou d’un prophète pour raconter cette odyssée à travers le désert, pour peindre les souffrances de cette héroïque phalange.
Le Père Berré fut la providence de ces religieux et de ces religieuses qui, après mille aventures et mille dangers, purent regagner la France.
Le Père Berré n’eut pas cette joie. Les Turcs retinrent trois otages : lui, le Père Rhétoré, le Père Simon. Le Père Berré fut traîné de ville en ville jusqu’à Mardine, Konia et enfin Beyrouth. Au cours d’une captivité de trois ans, il ne perdit ni son courage, ni son sang froid. Il cachait sous de frêles dehors une énergie indomptable. Il assista aux spectacles les plus sanglants et les plus tragiques. Sous ses yeux passèrent ces caravanes composées de femmes, de vieillards, d’enfants en haillons, les regards dilatés par l’épouvante, par la fièvre et par la faim. Il lutta de toutes ses forces contre les inexcusables excès de l’ennemi. À Mardine, par exemple, secondé par l’excellent évêque Chaldéen de cette ville, son disciple, il réussit à soulager les malheureux qui réclamaient du pain et une protection, à sauver un groupe de jeunes filles de l’outrage et de la mort. 1 Hélas, il dut être le témoin de massacres sans nombre que, malgré ses interventions, ses protestations, ses prières, il ne put empêcher.
Du moins, au milieu de ses tribulations, il eut la satisfaction de constater que les chrétiens montraient une fermeté inébranlable, préférant la peine capitale au déshonneur et à l’apostasie, suivant au martyre les Dominicaines indigènes en chantant des hymnes et en répétant : « Christ, Christ ». Le Père lui-même crut un instant que sa dernière heure avait sonné. Un soir, vers 9 heures, des soldats le saisirent et se préparèrent à le fusiller. Mais l’humble moine se redressa, regarda en face les barbares, protesta au nom de la France et déclara que sa patrie vengerait sa mort. Cette crâne attitude fit peur aux Turcs qui laissèrent la vie à l’héroïque missionnaire tout en le maintenant prisonnier.
L’armistice permit au Père Berré de revenir à Paris. Il y séjourna jusqu’à la fin de 1919.
Le 15 décembre de cette année, il montait à Marseille sur le Duguay Trouin et accompagnait le cardinal Dubois en Palestine et en Egypte. Le printemps de 1921 le retrouvait à Mossoul à son poste de supérieur. Une grande partie des missionnaires avaient succombé, tués sous les drapeaux, morts de fatigue ou de vieillesse ; les œuvres étaient détruites ; partout la haine, le fer et le feu avaient accumulé les ruines.
« Si vous retournez à la Mission, écrivait déjà en 1918 un prêtre chaldéen, vous ne vous y reconnaîtrez plus, tout a été bouleversé, tout a disparu » (Nouvelles Religieuses, 1918, p. 30).
Pour comble de malheur, la Mésopotamie était en proie à d’effroyables convulsions. Des conflits entre les races, entre les religions, entretenus par les ambitions des États d’Europe, des luttes armées et chaque jour renaissantes, épuisaient cette nation infortunée et la livraient au démon de l’anarchie.
Un autre eût désespéré, eût abandonné un champ où l’apostolat semblait pour longtemps condamné à l’impuissance et à la stérilité… Le Père Berré ne céda point à la tentation. Sa confiance en Dieu triompha des sentiments qui lui eussent inspiré de jeter le manche après la cognée. « Avec quelle rapidité, écrit M. Maurice Pernot, il rétablit la situation. C’est grâce à son autorité douce, mais inflexible, que l’enseignement du français put être maintenu dans les nombreuses écoles que les Dominicains avaient fondées sous le régime turc, et qu’ils réussissaient à faire vivre presque sans changement, sous le régime britannique. Une négociation imprudente nous avait fait perdre Mossoul ; et voilà qu’un missionnaire, par une conquête silencieuse et pacifique, rendait ou plutôt conservait Mossoul, sinon à la France, du moins à l’influence française » (Débats, 7 avril 1929).
En 1922, le Souverain Pontife nommait le P. Berré, archevêque de Bagdad, et plus tard délégué apostolique pour la Mésopotamie, le Kurdistan et la petite Arménie. Mgr. Francis David, évêque chaldéen d’Amadia et ancien élève de notre Séminaire, conféra la plénitude du sacerdoce à celui qui jadis était son maître. La cérémonie eut lieu le 19 mars à Mossoul, dans notre église que le fléau avait respectée. Ce fut l’occasion pour les habitants et le clergé indigènes d’exprimer leur gratitude à l’élu. On vit « arriver à Mossoul d’innombrables caravanes venues de toutes les régions de l’Irak et jusque des montagnes du Kurdistan impatientes d’assister au sacre » (Débats, 7 avril 1929).
En France, on n’applaudit pas moins à la promotion du P. Berré. Le R. P. Berré, disait-on, est aussi grand missionnaire qu’il est loyal français. Tous ceux qui ont vécu en Syrie ont admiré l’activité qu’il déploya depuis trente six ans au service de l’Église et au service de la France. Chef de la Mission dominicaine de Mossoul, il est resté prisonnier des Turcs pendant une partie de la guerre et a été pour ses compagnons de captivité non seulement un modèle, mais un admirable appui.
Le gouvernement de la République a reconnu ses mérites en le nommant chevalier de la Légion d’honneur le 2 février 1921. Le Saint-Siège vient de lui prouver à son tour, à notre grande satisfaction, en quelle estime il le tient. Ainsi demeurera dans le respect loyal de l’ordre politique nouveau, sous le mandat britannique, ce qui garde le droit de survivre, l’étonnante activité des religieux français qui, depuis 1632, ont couvert la Mésopotamie de leurs établissements, des plus humbles dispensaires à l’hôpital musulman de Bagdad, des plus humbles écoles à l’admirable Séminaire syro-chaldéen de Mossoul, qui a si sûrement préparé les voies aux vastes projets orientaux que veut réaliser le pape Benoît XV (Année Dominicaine, 1921, p. 413-414).
La faveur universelle dont jouissait le P. Berré s’explique. Le Père apportait dans ses rapports une bienveillance réelle et dans la pratique une intelligente souplesse. Il savait éviter les discussions inutiles. Il ne contredisait pas sans nécessité. À l’égard de ceux qu’il rencontrait, quels qu’ils fussent, il était compatissant, plein de délicates prévenances, d’affectueuses attentions. Dès lors, on s’attachait à lui et à ses entreprises. Aux Écoles d’Orient, depuis Mgr. Charmetant jusqu’à Mgr. Lagier, un de ses meilleurs amis, à la Propagation de la Foi, on s’intéressait vivement à sa personne et à ses projets. Au consulat de Mossoul, à l’ambassade de Constantinople, à notre ministère des Affaires étrangères, on lui rendait justice, on le traitait respectueusement et cordialement. Bien des fois il nous a répété qu’il n’avait qu’à se louer des représentants de la France à Paris et à l’étranger. Il disait vrai. M. Poincarré s’exprimait sur le fils de Saint Dominique en ces termes flatteurs : « Aucun missionnaire n’a contribué plus que Mgr. Berré à faire grandir à l’étranger le prestige de la France ».
Quand il fut décoré de la Légion d’Honneur, le gouvernement motivait sa décision par cette note glorieuse : « Trente six ans de services, s’est particulièrement distingué pendant la guerre par sa conduite héroïque ».
Des hommes dont les idées étaient très éloignées des siennes l’invitaient à leur table, écoutaient ses doléances, lui promettaient leur concours. Même les autorités turques et anglaises tenaient compte de ses réclamations.
Pourtant, le Père Berré n’était que missionnaire, il ne cherchait que l’extension du royaume de Dieu. S’il fut utile à sa patrie et il le fut supérieurement, tout le monde en convient, c’est en se renfermant dans son rôle de ministre de l’Évangile. Un Dignitaire des affaires étrangères disait un jour en notre présence : « Le Père Berré et ses auxiliaires sont en Mésopotamie et dans le Kurdistan nos meilleurs agents parce qu’ils s’occupent uniquement de religion ». Le premier souci de Père était en effet de montrer en tout le fils docile et dévoué du Christ, de l’Église, du Souverain Pontife, de se conduire d’après leur enseignement, leur consigne, leur direction, d’obéir à leur moindre désir et de les prévenir. Doué d’une étonnante perspicacité, il jugeait promptement de l’importance des évènements dont il était le témoin. Il se hâtait s’il y avait lieu d’informer, par des rapports soigneusement et exactement rédigés, le Saint Père et les congrégations romaines de ce qu’il voyait ou pressentait, de ce qu’il craignait ou espérait. Son action épiscopale fut intense et fructueuse. Ses frères en Saint Dominique, les vaillantes sœurs de la Présentation, les Dominicaines indigènes, le clergé oriental, les fonctionnaires français lui furent d’un immense secours dans ses maintes initiatives, mais à lui revient le mérite d’avoir tiré parti de ces volontés fortes et concordantes, d’avoir relevé partiellement l’édifice qui s’était écroulé sous les coups de la violence et du fanatisme. J’ai dit partiellemnt, car, jusqu’ici, on a été contraint de laisser vacants les postes de Seerth, de Djezireh, d’Achitha, de Van. Il faudrait de l’argent et des ouvriers pour remettre en valeur ces districts qui se repeuplent petit à petit. Or, l’argent manque, les ouvriers sont peu nombreux. Après la persécution et la guerre qui ont décimé les noviciats, il est difficile de trouver des recrues. Cependant, les écoles, les Séminaires, les dispensaires, les orphelinats ont été rétablis, une équipe ardente et jeune se livre aux travaux de l’apostolat. Les Dominicaines de la Présentation sont revenues, les Dominicaines indigènes se multiplient. Il est permis d’espérer. Mgr. Berré a été le principal artisan de cette restauration.
La belle, pleine, sainte vie de Mgr. Berré allait finir. Depuis quelques temps, la santé du prélat inspirait des craintes à ses amis. Lui ne se plaignait pas, mais parfois, il avait du mal à cacher son excessive fatigue. Malgré nos insistances, il ne consentait guère à prendre le repos qui, à la suite de malaises inquiétants, lui eût été indispensable. À la fin de mars, une lettre de Mossoul nous apprenait qu’il avait été à toute extrémité, sous le coup d’une angine de poitrine, mais on ajoutait que la crise semblait conjurée. Le 29 du mois, Le Père Hugueny, supérieur de la mission, écrivait : « Le mieux a progressé plus vite qu’on ne le pensait. Depuis hier, nous ne veillons plus le malade, et il commence à se lever ». Ce n’était qu’un répit qui devait être de courte durée. Le 3 et le 4 avril des dépêches successives nous annonçaient d’abord que l’archevêque de Bagdad avait reçu les derniers sacrements, puis qu’il avait succombé.
Cette mort jeta le deuil parmi tous ceux qui avaient connu le missionnaire Dominicain. Où il était passé, les regrets s’exprimèrent sous mille formes. À Rennes, le cardinal Charost adressa à son clergé, une lettre émue dans laquelle il louait hautement le défunt et déplorait la perte, qu’en sa personne faisaient la Bretagne, la France et l’Église. À St Méen, on prépare pour le 3 mai une cérémonie funèbre où l’ordre de Saint Dominique sera représenté et où l’on parlera de ses vertus et de l’action de celui qui n’est plus. À Paris, la presse fut unanime dans ses appréciations élogieuses, aucune note discordante à notre connaissance ne se fit entendre.
Maintenant, l’âme du Frère vénérable que nous pleurons a reçu sa récompense, ses restes sacrés attendent la résurrection sur cette terre d’Orient où il a versé tant de sueurs, travaillé si généreusement pendant près d’un demi-siècle.
Au terme de cet article, nous sommes malgré nous envahis par une impression de fierté, mais à cette fierté se mêlent de la tristesse et des larmes. Nous pensons à ces générations de Dominicains qui, depuis trois cents ans ont consumé leur vie autour de ces vielles et infidèles cités de Ninive et de Babylone. Nous nous rappelons les souffrances qu’ils ont endurées et nous nous disons qu’ils sont gravement coupables les hommes qui, entravant le ministère auguste et souverainement civilisateur de ces héros du vrai, du bien, de la paix, « evanglizantium pacem, evanglizantium bona » ont rendu et rendent encore plus lourde, leur tache si accablante.
Puissent, au moins les cendres bénies de nos Frères répandues sur ce sol lointain, devenir une semence d’authentiques chrétiens. Puissent aussi ces quelques pages, dictées hâtivement par une amitié de plus de soixante ans, apporter quelque consolation à ceux qui partagent notre douleur, valoir quelque sympathie à cette Mission de Mossoul si digne d’estime et d’intérêt, susciter de nouveaux apôtres qui continueront la besogne commencée par leurs aînés.
C’est le meilleur moyen d’honorer la chère mémoire de ce grand serviteur de Dieu, de l’Église, de la Patrie : Fr. François-Marie-Dominique Berré, des Frères Prêcheurs, archevêque de Bagdad, délégué du Saint-Siège en Mésopotamie, en Kurdistan, et en Arménie.
Fr Marie-Albert Janvier des Frères Prêcheurs
1 ndlr. L’orateur a attribué à Mgr. Israël Audo, évêque chaldéen de Mardine, le rôle tenu par l’évêque syriaque catholique de Mardine, Mgr. Jibrayel Tappouni, élève au séminaire de Mossoul, qui a reçu Mgr. Berré chez lui.
Prière pour Mgr. Berré distribuée lors de ses obsèques (recto)
Prière pour Mgr. Berré distribuée lors de ses obsèques (verso)
La rue Mgr. Berré à St. Méen-Le-Grand, perpendiculaire à la rue de Montfort où il est né.
L’ancien Petit Séminaire à St. Méen-Le-Grand qui a accueilli le P. Berré.
L’ancien Petit Séminaire à St. Méen-Le-Grand qui a accueilli le P. Berré comme il est aujourd’hui.
Plaque commémorative de Mgr. Berré dans l’abbatiale de St. Méen-Le-Grand, sur un mur intérieur, au fond de l’église, à droite en entrant. Le texte est en latin. La plaque a été rénovée en avril 2015.
Acte de naissance de Mgr. Berré :
« Pierre Berré agé de trente six ans, profession menuisier demeurant rue de Montfort de notre ville, lequel nous a presente un enfant de sexe masculin né le quinzième jour du mois de septembre à deux heures du matin de lui, declarant en sa maison de Montfort et de Françoise Fauchoux son épouse et auquel il a declare vouloir donner les prenoms de François Marie Augustin. Les dites presentation et declaration faites en presence de Pierre Simon age de quarante deux ans , profession de marchand et Hyacinthe Baudet age de soixante douze ans secretaire de mairie, tous les deux demeurants en cette ville, dont le pere et les temoins signes avec nous le present acte de naissance apres qu’il leur a ete fait lecture ».