Discours de SS Karékine II, Patriarche Suprême et Catholicos de Tous les Arméniens, à la fin de la messe célébrée à la Basilique vaticane, le 12 avril 2015, pour le Centenaire du génocide arménien, en présence de SS Aram I, Catholicos de la Grande Maison de Cilicie , SE Serzh Sargsyan , Président de la République d’Arménie et SB Bedros XIX, Patriarche de Cilicie des Arméniens Catholiques
Votre Sainteté et bien aimé Frère en Jésus Christ,
La volonté miséricordieuse du Seigneur a permis que nous visitions encore une fois la ville de Rome. Nous sommes venus avec le président de la République d’Arménie, Serge Sarkissian, avec le Catholicos de la Grande Maison de Cilicie , Aram I, avec les évêques de l’Église arménienne et les représentants des fidèles arméniens disséminés dans le monde entier, portant dans notre âme la joie de la résurrection, héritée de notre tradition chrétienne, pour présenter à Votre Sainteté nos salutations les plus fraternelles et nos meilleurs vœux, et participer, par nos prières, à la sainte messe célébrée en la basilique Saint-Pierre, en souvenir des victimes du génocide arménien, dont c’est aujourd’hui le centenaire.
Notre peuple et nous, nous réjouissons profondément du titre de « docteur de l’Église » que l’Église catholique, selon sa définition, vient d’attribuer à Grégoire de Narek, un des pères de l’Église arménienne, durant cette cérémonie, et qui témoigne des liens d’amitié qui unissent nos deux Églises sœurs. Au Xe siècle saint Grégoire de Narek, maître de prière et illuminateur de l’univers, composa « Du fond du cœur. Colloque avec Dieu », une prière de pénitence et de confession pour toutes les générations humaines. Le saint moine, avec son « recueil de prières » adoré par le peuple arménien, indiqua aux « pécheurs et honnêtes hommes, aux fiers et humbles, aux bons et méchants » (Parole 3) le chemin du salut par la grâce du Christ, en guidant les croyants vers le Seigneur.
Notre peuple connut au fil de son histoire de nombreuses vicissitudes et affronta des tentations au nom de sa foi et de son identité. Il y a un siècle, la Turquie ottomane perpétra le génocide de notre peuple. Selon un plan prémédité, un million et demi d’Arméniens furent exterminés de manière incroyablement cruelle. Notre peuple a été déraciné de son berceau, de sa patrie historique et s’est dispersé dans le monde. Notre patrimoine chrétien, séculaire, a été démoli, détruit et pillé. Or, ni la souffrance, ni les persécutions n’ont ébranlé notre peuple qui préféra mourir plutôt que de renier sa foi et sa nation.
Aujourd’hui la grandeur de ce courage spirituel face au martyre, dont fit preuve notre nation, apparaît sous nos yeux, proclamant de nouveau son identité établie au Ve siècle, et rappelant qu’elle possède la chrétienté non comme un habit, mais comme couleur de peau (Histoire de Yeghiche).
L’amour miséricordieux du Seigneur a voulu que notre peuple, après tant d’atrocités et de privations, redresse l’échine, apportant une nouvelle vie dans les communautés de la Diaspora et sous l’égide de l’État rétabli dans la partie orientale de l’Arménie. Notre peuple s’est reconstruit avec un courage extraordinaire, affrontant mille privations et difficultés. Et encore aujourd’hui notre nation vit dans le bloc des frontières imposées par la Turquie et l’Azerbaïdjan, lutte pour une vie libre au Nagorny Karabakh, poursuit ses efforts en faveur de la reconnaissance du génocide des arméniens et revendique le droit à la mémoire, à la vérité historique. A l’époque, l’humanité n’a pas réussi à empêcher le génocide des arméniens, à supprimer les conséquences et elle a été témoin de l’holocauste, de génocides au Cambodge, au Rwanda, au Darfour et ailleurs.
Encore aujourd’hui l’humanité et chaque nation, à cause des conflits armés, des guerres et des actes terroristes, vit dans les privations et les difficultés, paie pour sa foi en versant son propre sang. Nous sommes convaincus que la reconnaissance universelle du génocide des arméniens, comme un exemple important pour la réalisation de la justice, de la protection des droits humains, contribuera à la création d’un monde plus sûr et légitime.
En ce sens, le 100ème anniversaire du génocide des arméniens est un rappel fort au monde à ne pas rester indifférents face aux souffrances et martyres endurés aujourd’hui et à faire davantage d’efforts pour stopper ces injustes agressions et prévenir ces violences qui enfoncent les gens dans leurs souffrances. Tel est le fruit qui doit pouvoir sortir de la racine du martyre.
Durant cette messe, offerte à l’occasion du centenaire du génocide arménien, en souvenir des âmes de nos victimes innocentes, nous nous souvenons des vénérables prédécesseurs de votre Sainteté, le pape Benoît XVI, qui fit entendre sa voix en protestant contre le génocide des Arméniens, et le saint pape Jean Paul II qui, en 2001, dans une déclaration conjointe, reconnut et condamna le génocide des Arméniens. A ce propos la publication des documents inédits, conservés dans les archives du Vatican, est de grande importance.
Notre peuple exprime sa plus profonde gratitude aux nations, organisations et individus qui eurent le courage et la conviction non seulement de reconnaître et condamner haut et fort le génocide arménien, mais de réaliser également des missions humanitaires, en prenant soin des orphelins, en donnant un toit aux rescapés et en les aidant à surmonter tant de difficultés.
Le 23 avril 2015, à l’occasion du centenaire du génocide des Arméniens, au Saint-Siège d’Etchmiadzin, avec la participation orante de nos Églises sœurs, y compris de représentants de Votre Sainteté, d’illustres hôtes et fidèles arméniens du monde entier, sera annoncée la canonisation d’innombrables victimes du génocide qui choisirent la couronne du martyre au nom de leur foi et de leur patrie. Nous demanderons l’intercession de nos saints martyrs qui adhèrent à l’armée céleste, afin que la paix divine se répande dans la vie des hommes et que les tragédies génocidaires ne se répètent plus, partout dans le monde.
Bien-aimé frère en Christ, nous partageons votre pensée : le martyre ne connaît pas les différences confessionnelles. En effet, les martyrs nous unissent comme fils et serviteurs d’un unique Seigneur Jésus Christ afin que nous apprenions et que nous nous engagions à instaurer l’amour, la justice, la paix dans le monde et à ouvrir un dialogue entre les religions et les civilisations comme nous l’enseigne le message des Écritures : « Soyons attentifs les uns aux autres pour nous stimuler à vivre dans l’amour et à bien agir. » (Hébreux 10,24)
Nous espérons que notre prière et les supplications que nous élevons au ciel, de cette sainte basilique Saint-Pierre, seront entendues par Notre Père et que sa grâce et sa bénédiction nous soutiendront dans les efforts que nous déployons pour instaurer la paix dans le monde. Nous prions Dieu pour le bien-être de Votre Sainteté, pour la prospérité de l’Église catholique et demandons que la miséricorde, l’amour et les grâces de Dieu soient avec nous et avec tous, en invoquant les paroles sorties du cœur de saint Grégoire de Narek, docteur de l’Église et Illuminateur de l’univers :
« Toi qui es puissant pour trouver toutes les solutions nécessaires,
donne-moi un esprit de sagesse,
une droite de protection,
une main charitable,
un ordre de bonté,
une lumière de miséricorde,
une parole de renouveau,
un motif de pardon,
un bâton de soutien pour conserver la vie.
Car Tu es espérance de refuge, oh Seigneur Jésus Christ,
béni avec le Père par Ton Esprit-Saint dans les siècles des siècles. Amen. »
(Grégoire de Narek, Parole 59)