La messe de béatification eut lieu au couvent de la croix à Jal el dib (Liban), le samedi 4 juin 2022, à 6h30.
Le déroulement complet de la cérémonie se trouve dans la version arabe.
Ici, nous reproduisons seulement l’homélie du Cardinal Marcello semeraro , préfet du dicastère des Causes des Saints, et le remerciement de Mgr Essayan, vicaire apostolique des latins au Liban, à la fin de la messe. Les deux prélats ont donné leur mot en français.
RECHERCHER LA JUSTICE POUR LES PAUVRES ET FAIBLES C’EST LA SAINTETÉ
Homélie pour la béatification de Léonard Melki et Thomas Saleh, ofm. cap. martyrs
« Si quelqu’un a soif, qu’il vienne à moi » (Jn 7, 37). Ce sont les premières paroles de Jésus que nous venons d’entendre proclamées dans le Saint Évangile, et elles suffisent déjà à nous toucher, à nous consoler. Qu’il vienne à moi , dit-il, mais à qui le dit-il ? aux meilleurs ? à ceux qui sont sans péché ? à ceux qui sont en règle avec la loi, même ecclésiastique et, finalement, avec la loi de Dieu ? Non ! Jésus dit simplement : celui qui a soif ! Voilà à qui il s’adresse !
Avoir soif veut dire beaucoup de choses. L’Évangile parle, par exemple, de « soif de la justice » et ceci est une soif toujours humainement très ressentie. Aujourd’hui encore et dans tant de parties du monde l’injustice blesse l’humanité et provoque de grandes souffrances. Dans sa béatitude, Jésus fait l’éloge de cette soif, mais – comme l’explique le pape François – il est nécessaire de comprendre que la justice dont il parle commence à devenir réalité dans la vie de chacun lorsque l’on est juste dans ses propres décisions, et elle se manifeste ensuite, quand on recherche la justice pour les pauvres et les faibles et cela c’est la sainteté (cf. Gaudete et exsultate , n.79).
Dans notre langage humain, cependant, la parole soif dit aussi autre chose. Elle dit, par exemple, désir . Nous sommes tous nés d’un désir : celui de Dieu, certainement, et c’est la raison pour laquelle chacun de nous est comblé de désirs et en tous se reconnait notre histoire : joies et douleurs, succès et échecs, espérances et désillusions… Nous avons cependant toujours besoin de les discerner, ces désirs, parce qu’aucun d’entre nous est assez transparent à lui-même pour savoir où est fixé son cœur.
Voilà, alors, que Jésus invite : viens à moi ! Saint Thomas d’Aquin commente : il le dit in impletione desideriorum , c’est-à-dire pour accomplir tout bon désir (cf. Super Io. cap.7, lect.5). Pour nous aider à comprendre tout cela, l’évangéliste explique que Jésus parlait de l’Esprit. C’est donc dans ce contexte que, ce soir, nous voulons envisager aussi la figure des deux frères capucins libanais, p. Léonard Melki et p. Thomas Saleh, qui viennent d’être béatifiés comme martyrs.
Qui sont les martyrs ? Pour donner une réponse, Saint Ambroise considérait que chaque fois que l’Église proclame la mort de son Sauveur (et c’est ce que nous faisons quand nous célébrons la Sainte Eucharistie), elle reçoit une blessure d’amour. Il explique, alors : « Tout le monde ne peut pas dire qu’il a été blessé par cet amour, mais les martyrs peuvent le dire, eux qui sont blessés à cause du Christ et, justement parce qu’ils ont obtenus d’être blessés à cause de son nom, ils l’aiment encore plus » (cf. Expositio in psalmum David CXVIII : Sermo V, 17 : PL 15, 1256). Considérons, donc, la vie terrestre de nos bienheureux.
Humainement ce sont des victimes ; victimes d’une vague de haine qui à plusieurs reprises a parcouru la fin de l’Empire Ottoman et se mêla aux événements tragiques de la persécution contre tout le peuple arménien et contre la foi chrétienne. En effet, quand nos deux Bienheureux choisirent de partir en mission, c’était justement en ces années-là. Nous avons entendu au début du Rite le récit des événements qui ont conduit à leur martyre. Je les résumerais donc brièvement. En décembre 1914, alors que tous les autres Capucins cherchaient refuge dans des lieux plus sûrs, le bienheureux Léonard choisit de rester dans le couvent de Mardine pour continuer à prendre soin d’un confrère âgé. Le 5 juin 1915 notre Bienheureux fut arrêté et soumis par la suite à des violences et des tortures jusqu’à être tué, avec d’autres compagnons, à coup de pierres, puis de poignards et de cimeterres. Le bienheureux Thomas fut accueilli en décembre 1914 avec d’autres confrères dans le couvent d’Orfa. Emprisonné avec ses autres confrères il fut enfermé dans différents cachots et subit plusieurs marches de la mort et des tortures terribles destinées à le faire apostasier. Malgré cela, dans l’Église libanaise se perpétue le souvenir de sa sérénité et de sa force.
Si humainement, disais-je, ils ont été des victimes, dans la perspective de la foi chrétienne ils ont été des vainqueurs . Mais de quelle « force » parlons-nous ? Certainement pas de la volonté de puissance, qui gouverne les instincts de prévarication et de domination, à laquelle nous assistons si douloureusement tant au niveau personnel que communautaire et social. Non ! Nous parlons plutôt du don spirituel de force qui dans la doctrine catholique est la troisième vertu cardinale, c’est-à-dire une de celles qui constituent les fondements d’une vie vertueuse. Il ne s’agit donc pas de mettre en œuvre la force des muscles, mais plutôt la passion pour la vérité et l’amour pour le bien jusqu’au renoncement et au sacrifice de sa vie (cf. Catéchisme de l’Église Catholique, n. 1808). Le but de l’Église est aussi de témoigner de cette force.
Benoît XVI, notre Pape émérite, dans l’encyclique Spe salvi a écrit que dans les épreuves vraiment lourdes de la vie, spécialement quand il nous arrive de devoir prendre la décision définitive de faire passer la vérité avant le bien-être, la carrière, la possession, « nous avons besoin de témoins, de martyrs, qui se sont totalement donnés, pour qu'ils puissent nous le montrer – jour après jour. Nous en avons besoin pour préférer, même dans les petits choix de la vie quotidienne, le bien à la commodité – sachant que c'est justement ainsi que nous vivons vraiment notre vie » ( Spe salvi, n. 39).
Il y a une autre question : Qui donne au martyr le courage d’être témoin ? C’est l’Esprit Saint qui donne le courage. Voilà la réponse. Nous l’avons entendu de l’apôtre Paul : « L’Esprit vient au secours de notre faiblesse » ( Rm 8, 26). Les anciens pères nous disent que les martyrs sont comme des athlètes qui, libérés des vêtements qui gênent la course, enflammés par l’Esprit Saint ( Spriritu sancto ferventes ) courent dans le stade pour remporter la couronne du vainqueur (cf. Gaudence de Brescia, Sermo XVII : PL 20,968).
Prions donc avec ces paroles empruntées à saint Grégoire de Narek : « Les bienheureux martyrs, rendus parfaits par leur souffrance dansent maintenant heureux dans une fête sans fin. Par leur intercession et leur prières, qui sont agréables à tes yeux parce qu’elles sont teintées par l’offrande de leur sang, accepte-nous aussi, Seigneur, et garde-nous fermement attachés à Toi, afin que nous puissions parvenir au salut éternel. Amen » (cf. Paroles à Dieu, Peeters 2007, 378-379).
Jal El Dib (Liban), 4 juin 2022
REMERCIEMENT DE MGR ESSAYAN,VICAIRE APOSTOLIQUE DES LATINS AU LIBAN
Éminence Révérendissime, Card. Marcello semeraro , délégué du souverain pontife le pape François.
A l’issue de cette célébration, il est bon et juste de vous exprimer, et à travers vous à sa sainteté le pape François notre reconnaissance et notre gratitude pour cette béatification. Votre présence au milieu de nous comme délégué du Saint Père nous rappelle combien le Liban et son identité sont chers à son cœur.
Nous accueillons cette béatification en message que le Seigneur et l’Église nous adresse en ce moment crucial de l’existence de notre pays. Mais, comme nos bienheureux Léonard et Thomas, nous voulons nous engager à faire chaque jour le choix de donner la vie pour nos frères, sans discrimination aucune. Ensemble nous voulons prendre soin des malades, des blessés, des exclus, sans oublier aucun et nous voulons vivre cela dans la joie, celle de l’évangile, fidèles à notre foi en celui qui pour nous a vaincu la mort et nous a déjà fait entrer de plein droit en la résurrection bienheureuse.
Éminence, nous vous prions de dire au Saint Père toute notre affection et tout notre désir de le voir le plus tôt parmi nous. Dites-lui que nous l’attendrons le temps qu’il faudra pour réaffirmer avec lui, tout haut et en toute certitude, que le Liban est et restera la terre de la fraternité et de l’amitié, une terre sainte et la terre de la sainteté.
Merci Éminence.