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P. Bonaventure (lettre)

Lettre du P. Bonaventure Fadel de Baabdath ofm. cap.  au P. Paul Kanj de Baabdath ofm. cap. 1

Dans cette lettre adressée au P. Paul (Boulos en arabe), le P. Bonaventure donne des bribes d’information sur le sort de ses confrères Léonard et Thomas. Le P. Paul et le P. Bonaventure étaient tout deux étudiants à Boudja. Le P. Paul fut retenu à Mersine pendant toute la guerre alors que le P. Bonaventure fut expulsé de Diarbakr vers Ourfa, puis déporté vers Adana pour être condamné. La lettre fut envoyée de Beyrouth, près d’un an après la sortie du P. Bonaventure de la prison d’Adana. Elle parle aussi d’affaires personnelles que nous maintenons. Elle est écrite en arabe, nous présentons la traduction :

Beyrouth, le 9 mai 1919

Jésus et Marie

Mon cher frère Boulos,

J’embrasse  tes yeux, mille et mille baisers, et  je t’embrasse encore et  te serre sur  mon cœur à qui tu manques d’une manière que je ne saurais décrire. Qui peut me blâmer, alors que tu es le frère chéri de mon enfance. Le sort a voulu me séparer de toi depuis quinze ans. Tu es le seul qui me soit resté de mon séjour à l’étranger, le seul parmi nos frères qui ont été victimes de la guerre, ou plutôt qui ont été des martyrs tués par les poignards des barbares, avec une férocité sans pareille.  Le P. Léonard fut tué à Mardine avec ceux qu’ils ont tués parmi les Arméniens. Quant au P. Thomas, il mourut dans la prison où j’étais moi-même. Que Dieu accorde un large repos à ces deux frères si doux.

Mon frère et mon cher Boulos,

Avec la permission des supérieurs, je suis aujourd’hui à la Montagne, pour y prendre un peu de repos et me débarrasser des horreurs qui n’ont  cessé  d’exercer une grande pression sur nous, jusqu’au jour de mon arrivée au havre de paix, mon cher village natal de Baabdath. Oh ! Baabdath ! Comme tu es douce et comme tu es amère aussi. Mon cœur s’est rempli d’amertume au souvenir de nombreux parents et amis très chers qui s’y trouvaient jadis et dont on ne retrouve aujourd’hui qu’un petit nombre. Ces personnes restées sont si aimables. Leur sympathie envers nous s’est accrue et leur bonté a beaucoup augmenté. C’est pourquoi mon cœur les a aimés d’un amour si grand. Je cite surtout, parmi eux, mon révérend Père et mon honorable professeur, votre révérend frère zélé, le P. Youssef qui a montré un tel attachement à notre Ordre que nous lui serons redevables pour l’étérnité.

Maintenant, je pense partir en France avec les Sœurs qui sont revenues d’Ourfa. Je n’ai point encore de date de  retour. Je pense que ce sera vers la fin de l’été, avant les vendanges. Je souhaite te rencontrer alors à la Montagne pour te revoir car tu me manques beaucoup. De France, je te raconterai tout. On dit que tous les Pères [les missionnaires français expulsés de Mésopotamie] vont revenir à la fin de ce mois. Alors il te sera possible de quitter ton séjour pour un temps, ainsi nous pourrons nous voir et nous retrouver, ne serait-ce que quelques jours. Nous aurons tant de choses à nous dire. Il faut absolument que tu viennes, car Moussa Aad, d’heureuse mémoire, a laissé son beau palais en héritage pour Votre Paternité.

Comme tu le vois, ta venue à Baabdath est nécessaire. Tu dis que tu ne veux pas venir à la Montagne avant que quelqu’un ne vienne d’Amérique. Permets moi de te faire des reproches. Tu as tort, oui, tout à fait tort. Est-ce que notre révérend Père et notre cher frère Youssef ne valent pas  l’Amérique entière ? Il se languit de te revoir, ainsi que tous les survivants de nos parents, les plus jeunes surtout. Non ! Non ! Mon frère. Ne t’entête pas comme moi,  envoie-lui une lettre à la première occasion lui annonçant ton retour auprès de lui dès que l’occasion se présentera.  Ainsi tu apaiseras son doux cœur et gagneras sa bienveillance. Il est ton père, quoique tu fasses ou te démènes. Je veux dire que tu dois l’écouter car il tient pour nous le rôle de notre père, de notre mère, de notre frère, de notre bien-aimé. Bref, il est tout pour nous. Alors, as-tu entendu ou non ? Oui, oui, je vois que tu as entendu et que tu as compris. Alors sois béni par lui et par moi.

Ici, tous vont bien et te saluent. Que le Seigneur te conserve sous Sa garde.

Ton frère à qui tu manques beaucoup

1  Archives Dr. Joseph Labaki, Baabdath, Liban.

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...et, une fois de plus, la bure franciscaine fut teinte du sang des martyrs...
LeonardMelki
© Farés Melki 2013