Mgr. Jean Naslian,
évêque de Trébizonde
« Les Mémoires de Mgr. Jean Naslian, évêque de Trébizonde, sur les événements politico-religieux en proche orient, de 1914 à 1928 »
Mgr. Jean Naslian (Erzeroum, mars 1875 — Baabda-Liban, 15 septembre 1957), fut sacré évêque Arménien catholique de Trébizonde, par le Patriarche Mgr. Terzian lors du Synode des évêques arméniens, tenu à Rome en octobre 1911.
Sous le prétexte d’avoir été sacré en Italie, alors pays ennemi de la Turquie par suite de la guerre de la Tripolitaine, le gouvernement Jeune-Turc lui fit subir bon nombre d’intimidations et de complications pour lui empêcher d’exercer son ministère.
Il tint ferme aux menaces. La Providence divine le sauva des massacres de Trébizonde qui ont eu lieu lors de son absence en France, pour participer au Congrès international eucharistique à Lourdes, en juillet 1914.
À la fin de la guerre, il fut mandaté, avec un comité, pour faire le tour des diocèses, afin de mettre en relief « l’un des aspects historiques de ces mêmes massacres, je veux dire l’histoire spéciale du massacre des Evêques, Prêtres, Religieux et Religieuses arméniennes catholiques ». Mgr. Naslian se fit remettre les comptes rendus des survivants et des témoins, entre autres les trois Dominicains réfugiés à l’Evêché Syriaque Catholique, ainsi que le témoignage de Mgr. André Ahmarani ou Ahmaranian, un arménien de Mardine, membre de la Congrégation de Bzommar : Un prêtre de sa famille, le P. Antoun Ahmarani, fit partie du convoi du 11 juin 1915 avec P. Léonard et fut le premier à être exécuté en route. En 1951, à l’occasion du 15ème centenaire des Saints Vartan et Compagnons martyrs, il publia, en français et en 2 volumes de 1637 pages, « Les Mémoires de Mgr. Jean Naslian, évêque de Trébizonde, sur les événements politico-religieux en proche orient de 1914 à 1928 ». L’ouvrage fut réédité et publié en 2008 par le Patriarcat Arménien Catholique de Beyrouth, avec une préface de Nersès Bédros XIX, Catholicos Patriarche de Cilicie des Arméniens catholiques.
Il est à noter que Mgr Naslian avait loué la maison de Dr Joseph Antoun Labaki à Baabdath pour y passer l'été de l'année 1955, en compagnie de sa sœur Marie, et a participé à la liturgie eucharistique qui eu lieu à l'occasion de l'érection de la statue de Notre-Dame de l'Espérance à Baabdat, le 15 août 1955.
L’œuvre de Naslian est une mine de renseignements. Nous reproduisons ci-dessous quelques passages utilisés dans la rédaction de la Biographie du P. Léonard.
A- Les massacres des Arméniens en général, du point de vue politique et religieux (p. 1-5)
L’extermination des Arméniens de l’Empire Ottoman a été conçue et projetée par le Comité Jeune-Turc, autorisée par le gouvernement de la Sublime Porte, exécutée par la population musulmane avec l’appui et l’encouragement des Autorités Civiles et Militaires de l’époque sous la direction de la gendarmerie d’escorte préposée aux déportations. Dans la suppression radicale d’une si forte race, Chrétienne et originaire du pays depuis des millénaires, les Turcs, en raison de leur mentalité, poursuivaient des buts politiques dans la conception de ce plan et des desseins religieux dans son exécution.
Surtout après le passage du Comité Jeune-Turc au pouvoir, on ne rêvait en Turquie que l’absorption par la fusion des différentes races avec la race turque et en cela, c’étaient les Arméniens qui étaient visés en premier lieu, parce qu’ils constituaient le groupement le plus important en valeur numérique, ethnique, sociale et financière. Mais cette idée de fusion, élaborée dans le cerveau Jeune-Turc et qui correspondait en fait non seulement à l’absorption des races mais aussi à leur islamisation, devait rencontrer l’opposition la plus vive et la plus énergique surtout chez les Arméniens qui, par leur attachement à leur pays natal et à leurs traditions nationales et religieuses, avaient su et pu, en face des races turques, conserver leur identité nationale et religieuse et, malgré leur état de servitude vis-à-vis des envahisseurs, s’organiser en communautés et Églises revêtues, dans la suite, de privilèges et attributions octroyés par firmans impériaux et que le Gouvernement turc leur reconnaissait en vertu d’engagement officiels pris dans des actes internationaux. Doués d’énergie et d’aptitudes raciales particulières, les Arméniens avaient fait des progrès remarquables dans les domaines de la culture intellectuelle, du commerce, de l’industrie et de l’agriculture : aussi ne devaient-ils pas échapper à la jalousie de leurs concitoyens turcs. Plus l’Arménien élevait son niveau de vie, plus la haine du Turc s’envenimait à son égard… et le fossé s’élargissait entre les deux races.
Par ailleurs, l’empire Turc était fondé sur l’exploitation de l’énorme majorité non musulmane par la minorité des conquérants turcs musulmans. Les sultans, fondateurs de cet empire et devenus en même temps Califes des Musulmans du monde, exerçaient un pouvoir musulman despotique dont un des principaux fondements consistait en l’inégalité foncière entre les sujets musulmans et les sujets chrétiens. Aux deux principes fondamentaux de l’État Ottoman, le despotisme et l’islamisme, les Jeunes-Turcs en ajoutèrent un troisième, le nationalisme turc, et les Arméniens, pour conserver leur personnalité morale et leur conscience nationale, devaient résister à la poussée montante de ces trois facteurs combinés.
Les Puissances Occidentales, à leur tour, ne manquaient pas de tirer profit de cet état de choses pour intervenir dans les affaires intérieures de la Turquie en vertu des traités conçus pour la protection des chrétiens en général et pour la sauvegarde de la liberté de conscience et du culte, conformément aux traditions de chacune des communautés, des Catholiques en particulier. Un double danger Arménien était ainsi envisagé par les dirigeants Turcs : le développement prodigieux de la race arménienne poussé à l’excès pouvait diminuer moralement la prédominance turque et, en fait, la direction dans tous les domaines du progrès tenue par les Arméniens risquait d’intervertir les rôles et de mettre le Turc dominateur à la place du « sujet ». Par ailleurs, la politique européenne qui ne cherchait en Turquie que des concessions fructueuses ou des territoires à prendre, pouvait tendre à profiter de cet état de choses en exploitant l’élément Arménien. Or, comme l’écrivait un politicien Jeune-Turc : « L’intérêt religieux et l’intérêt matériel ont été les mobiles de cette politique européenne qui n’a jamais été subordonnée à la morale, mais bien à des visées mercantiles et de conquêtes, qui se dissimulaient parfois sous des apparences pieuses et désintéressées ». (La faillite morale de la politique occidentale en Orient, Ahmed Riza, 1922, Librairie Picart, Paris).
Contre ce double danger, le peuple et le gouvernement turcs étaient décidés à réagir, mais par le fanatisme religieux et l’instinct de la force brutale érigés en principes de droit, par la religion de l’épée et le pouvoir absolu de la tyrannie et, comme conclusion nécessaire de ce postulat, le Chrétien aux yeux du Turc, n’était pas seulement un esclave de naissance, mais encore un « objet massacrable à merci »…
Après la guerre balkanique, une nouvelle doctrine politique était née en Turquie : le pantouranisme. Toute la jeunesse turque était empoisonnée par elle, sans même considérer un instant si, en pratique, elle était réalisable. Le pantouranisme enseignait à tort que la race turque s’étendait de la Turquie à l’Azerbaïdjan russe et persan et de là au Turkménistan, Tadjkistan, Ouzbékistan, Kirghisié et Mongolie… de Constantinople à la frontière japonaise ! Il préconisait, en conséquence, la création d’un seul État touranien englobant ces pays.
Toute une littérature nouvelle était née, chauffant à blanc l’imagination turque pour la réalisation de ce rêve grandiose et fantastique, de cet empire aux dimensions colossalement disproportionnées. Pour cela, il n’y avait, d’après cette doctrine, qu’un seul obstacle : la race Arménienne qui, dominant notamment le haut plateau d’Erzéroum, de Kars et les régions de Bitlis et de Van, formait un mur infranchissable. La solution ? … Elle était bien simple pour le cerveau rudimentaire d’un Turc : il n’y avait qu’à la supprimer par l’épée. Hypnotisés par cette idée fixe, les Turcs en arrivaient à accuser les sultans califes, fondateurs de leur empire, de n’avoir pas adopté autrefois dans toute sa pureté et perfection cette solution, qu’ils n’avaient en fait appliquée qu’en partie. Aussi, la guerre mondiale de 1914-1918, dans laquelle se trouvaient engagées toutes les grandes puissances signataires et chargées des garanties internationales pour la protection des Chrétiens, présentait-elle l’occasion la plus favorable, à l’abri de toute réaction, pour écarter et supprimer radicalement, une fois pour toutes, le danger précité et surtout le temps le plus propice aux Turcs pour exterminer la redoutable race Arménienne.
B- Principes invoqués par les Jeunes-Turcs à l’appui de leur programme et de leur méthode d’extermination (p. 8-13)
René Pinon a ses raisons d’intituler son Livre « La suppression des Arméniens : Méthode Allemande – Travail Turc » (Librairie académique, Paris, 1916) . Nous croyons plus exact de préconiser cette suppression : « Méthode Sectaire – Travail Jeune-Turc ». En effet, le caractère sectaire de ce travail criminel n’a pas été caché par les auteurs eux-mêmes, qui ont eu le courage cynique de l’aggraver par la proclamation de certaines maximes dans la presse, pour en tirer une doctrine de justification de leur attentat contre le droit de l’homme à la vie. Ces principes, qui ont été de tout temps la règle des religions d’épée, ont été exposés avec revêtement pseudo-scientifique, dans le quotidien « Hilali-Ahmer », organe en langue française du Comité « Union et progrès ». En voici quelques uns que nous avons pu recueillir :
1. Les races inférieures, d’après les lois de la nature, doivent être la nourriture des races supérieures.
2. La guerre est le régime de la force et elle est à la libre disposition des races dominantes pour leur défense contre les faibles, qui doivent en subir les conséquences, quelque désastreuses qu’elles soient pour eux.
3. Massacrer, c’est la colère de la noblesse contre les races ignobles tenues pour dangereuses et hostiles à leur programme d’action.
4. Une fois décidé, pousser à fond le projet des massacres, sans se laisser influencer par personne et par aucun motif de sentimentalisme… et cela n’est pas de la cruauté, mais de la force d’âme.
5. Le massacre des peuples, sans distinction d’âge et de sexe, est une nécessité militaire.
6. Le massacre d’enfants d’une race hostile est une mesure préventive de défense nationale.
7. Même dans le sein de leurs mères, ces enfants sont des rejetons réprouvés et indignes de vivre (c’est en vertu de ce principe que toutes les femmes enceintes arméniennes furent éventrées impitoyablement pendant les massacres et que les enfants furent écrasés contre des rochers et des arbres. Plusieurs femmes, au moment même de devenir mères, furent obligées de marcher des jours et des jours, ou mieux, de se traîner sous les atroces coups de fouet pour terminer leur vie).
8. L’existence de l’Empire dépend de la force du parti Jeune-Turc et de la répression de toutes les idées antagonistes (Congrès Jeune-Turc tenu à Salonique en 1911). La partie négative du plan d’action, arrêté à ce congrès, contenait des décisions d’extermination des Chrétiens en général à la première occasion propice.
9. Puisque « l’Europe officielle n’est pas suffisamment affranchie des conceptions théologico-métaphysiques et puisque les préjugés et le fanatisme religieux restent vivaces en elle et se manifestent à tout instant », les musulmans aussi, faisant appel aux préceptes du Coran, ont le droit de se dresser en bloc dans une guerre sainte contre les infidèles voisins ou lointains. Et le Djihad a été proclamé le 15 Novembre 1914 pour remuer les musulmans de tous les pays du monde contre la chrétienté, bien que, par l’ironie des choses, les fauteurs de cette comédie de guerre sainte se fussent alliés avec d’autres puissances chrétiennes aux conceptions théologico-métaphysiques. Le Coran, à ce propos, prescrit : « Ô croyants, combattez les infidèles qui vous avoisinent, qu’ils trouvent toujours en vous un rude accueil (C. IX-124). « Ne vous ralentissez point dans la poursuite de vos ennemis (C. IV-105). « Ne montrez point de lâcheté et n’appelez point les infidèles à la paix quand vous êtes les plus forts et que Dieu est avec vous (C. X. 4.11.37) ». Sur la base de ces principes, la Fetwa du Djihad a été prononcée comme suit :
« Lorsque plusieurs ennemis s’unissent contre l’Islam, lorsque les pays de l’Islam sont pillés, la population musulmane opprimée et emprisonnée, lorsque dans ces circonstances le khalifat de l’Islam proclame la guerre sainte selon les saintes prescriptions du Coran, la guerre n’est-elle pas du devoir de tous les musulmans, jeunes ou vieux, fantassins ou cavaliers, et tous les musulmans, ne doivent-ils pas être animés du désir de mener la guerre pour la foi ? Réponse : Oui. Les sujets musulmans de la Russie, de la France, de l’Angleterre et des pays qui les soutiennent, ne doivent-ils aussi mener la guerre sainte contre le gouvernement dont ils dépendent ? Réponse : Oui ».
Ces grandes affirmations ne pouvaient franchir les frontières occupées par les armées turques et celles de leurs alliés et n’ont retenti seulement qu’à l’intérieur de la Turquie et surtout, d’après le principe invoqué par le Comité Jeune-Turc : « Les peuples, dans leurs propres affaires intérieures ont seuls le droit de s’en émouvoir ». Les musulmans de tous les autres pays ennemis ont combattu dans leurs armées respectives contre les troupes des Jeunes-Turcs considérés par eux comme des renégats de l’islamisme et ils ont combattu avec autant de dévouement que les soldats chrétiens. Par contre, ce Djihad n’a servi qu’à exciter au paroxysme la haine des musulmans turcs contre leurs concitoyens chrétiens, notamment contre les Arméniens. C’est pourquoi, si le programme de l’extermination de cette race désarmée n’avait, au début, que des mobiles politiques, son exécution a été cependant animée par des mobiles purement religieux évoqués par le Djihad.
Il n’est pas inutile d’exposer encore quelques unes des autres maximes jeunes-turques :
10. Tout un système de doctrine religieuse et philosophique qui a déterminé la politique des Sultans-Califes n’a été nullement modifié par la révolution Jeune-Turque, puisque ces mêmes fils de la révolution laïque et anti-religieuse ont gardé toujours un reste de la foi de leurs aïeux ainsi que toute leur haine contre le christianisme qui se résume dans ces principes de barbarie : « le Turc seul est homme, le reste de l’humanité ne présente que le rebut de la nature ; le Turc seul a droit à la vie, à la domination ; tous les non-turcs ne sont destinés qu’à disparaître ou à servir le Turc ».
11. Le fatalisme du peuple turc a fini par rejeter la responsabilité des massacres dont il a été l’exécuteur fidèle d’après les ordres reçus et il s’en est excusé en invoquant sa croyance coranique qui lui dit : « Dieu vous a créé et tout ce que vous faites » (C. III-VII. 94). Par conséquent, les actes les plus criminels perpétrés pendant les massacres, tels que : viols, vols et rapines, ayant été permis, tolérés par Dieu, ont été approuvés aussi par Lui.
12. La loi naturelle, le droit naturel même n’ont pas de raison d’être devant la volonté du Calife, ombre de Dieu sur la terre ; l’autorisation de celui-ci est suffisante pour justifier n’importe quel acte de l’Islam, car il n’est qu’un instrument irresponsable dans les mains de son gouvernement, seul arbitre et maître absolu de la vie même de ses sujets. Ainsi, tout acte de sévice, d’oppression, de spoliation et de supplice était impunément permis contre les Arméniens condamnés à mort par leur Gouvernement et, bien loin d’être considéré comme un crime, il était au contraire tenu pour méritoire envers son auteur turc. C’est pourquoi le docteur Hassan Fouad, arrêté et conduit devant le Tribunal de Mossoul pour avoir assassiné deux prêtres chaldéens de cette ville, fut mis en liberté par le juge d’instruction dès qu’il lui déclara avoir ignoré l’identité de ses victimes qu’il avait prises pour des Arméniens, ce qui prouve que le massacre de ces derniers était autorisé.
13. Les Turcs ont cherché à justifier cette autorisation préméditée par la légende d’une révolte arménienne étouffée dès ses débuts par le Gouvernement. On a ainsi cyniquement proclamé que le massacre n’a été que la répression de cette insurrection… et cependant Enver Pacha, Ministre de la Guerre et Généralissime de l’Armée, à la date du 26 janvier 1915, félicitait le Prélat arménien-grégorien de Konia pour la fidélité des Arméniens et le chargeait de présenter à la nation Arménienne, dont le parfait dévouement à l’égard du Gouvernement impérial ottoman est connu, l’expression de « sa satisfaction et de sa reconnaissance ». Plus tard, à Diarbékir, à Malatia et ailleurs, des monceaux de cadavres arméniens aux têtes enveloppées de turbans étaient photographiés par les assassins eux-mêmes comme preuve d’assassinat de Turcs par les Arméniens : telle révolte, telle preuve !
14. Cette doctrine, prescrivant le massacre et son ordre, était d’ailleurs étendue à tous les Chrétiens dans une brochure en langue arabe distribuée dans tout le monde islamique. Il y était dit normalement : « L’extermination des misérables (chrétiens) est une tâche sainte, qu’elle soit accomplie secrètement et ouvertement, suivant l’ordre du Coran : “Prenez-les, tuez-les où que ce soit que vous les trouviez, nous vous donnons sur eux pouvoir absolu” ». Il y a en effet dans le Coran de pareilles expressions, mais elles sont plutôt dirigées contre les idolâtres ; toutefois il reste à l’interprète de ce livre —qui fait autorité divine chez les musulmans— surtout à l’interprète suprême investi d’un pouvoir spécial, le Cheikh-oul-Islam, d’en adapter les prescriptions et les textes à des ordres émanant à ce propos du Sultan, directement ou par l’entremise de son gouvernement. Dans le cas considéré, c’était le gouvernement Jeune-Turc qui imposait au Sultan Mahomet V ses interprétations dans le sens de la brochure susmentionnée.
C- Mentalité Jeune-Turque et dispositions particulières à l’égard des Arméniens Catholiques pendant les déportations et massacres de 1914-1918 (p. 13-17)
Le bruit trop criant de l’extermination totale d’une race si connue d’Orient, et cela sans distinction d’innocents ou de coupables, d’enfants ou de vieillards, de prêtres et de femmes, sans aucun égard aux différences confessionnelles de Grégorien, de Catholique, de Protestant, avait tardivement soulevé, contre le gouvernement Turc, l’opinion publique dans les pays neutres et même chez les Alliés de la Turquie. Le pape Benoit XV était intervenu auprès du Sultan Mahomet V. Le professeur Lepsius avait dévoilé la réalité trop inhumaine des atrocités turques dans un rapport bien documenté et sur enquête menée par lui-même en Turquie. Les secrets diplomatiques n’avaient pas pu rester longtemps dans les archives du Département d’État à Washington et au moment ou Naoum Effendi, grand rabbin de Constantinople, en mission spéciale pour les Turcs en Amérique du Sud, y déployait cent mille artifices de propagande en faveur de la Turquie contre les Arméniens « révoltés », un autre Juif, mais celui-ci en sa qualité d’Ambassadeur des Etats-Unis à Constantinople, avec plus d’autorité, mettait en pleine lumière l’atroce réalité de cette extermination sans précédent.
Devant l’émotion de l’opinion mondiale, les Jeunes-Turcs ont cru pouvoir jeter de la poudre aux yeux des Catholiques et des Protestants, surtout des pays alliés et neutres, en faisant circuler le bruit d’ordres donnés en faveur des Arméniens de ces deux confessions. On avait, de fait, lancé de pareils ordres quand les déportations en vue des massacres avaient déjà atteint leur fin tragique : ces ordres, d’ailleurs, étaient accompagnés d’instructions secrètes prescrivant de ne les appliquer que dans des cas tout à fait exceptionnels laissés à l’arbitraire et au bon plaisir des exécuteurs.
Un ordre du Ministre de l’Intérieur, en date du 17 août, fut donné, disant que les Protestants Arméniens doivent rester à leur place, mais un contre-ordre du 19 du même mois commande que tous les Arméniens, sans exception, soient exilés. Le Docteur Mordtmann, de l’Ambassade d’Allemagne, entreprit des démarches pour faire exempter des mesures de déportation les catholiques Arméniens d’Adana et d’Ankara, ou tout au moins les déportés de cette dernière ville et de les garder à Eskichéhir, comme ceux qui étaient arrivés à Konia. Talaat lui donna une réponse évasive.
Au Consul allemand de Jérusalem (M. Schmidt) qui, le 9 septembre 1915, avait fait des démarches en faveur des déportés protestants auprès de Djemal Pacha, celui-ci répondit que, par ordre exprès de Talaat, il ne pouvait s’occuper que des transports militaires. L’ambassade d’Autriche, après avoir obtenu de Talaat un ordre d’exemption en faveur des catholiques Arméniens de l’archidiocèse de Sivas, l’avait communiqué par télégramme directement à l’Archevêque de Sivas. Mohammed, le Préfet de cette Province, n’a fait parvenir cette dépêche au destinataire qu’après le départ en exil de nos catholiques, départ ordonné par lui-même et communiqué au même Archevêque à l’occasion d’une démarche de celui-ci à ce propos.
Dès que se fut répandue la nouvelle de l’exemption des Protestants, des pasteurs de certaines villes s’opposèrent à l’exode, mais les gouverneurs locaux intervinrent et menacèrent de pendaison tous ceux qui ne se soumettraient pas ou essaieraient d’empêcher l’exécution de la mesure de l’exil général. Et tout ceci arriva, contrairement aux interventions américaines et aux promesses obtenues par ceux-ci. Les professeurs et les élèves des établissements américains de Nicomédie, d’Adapazar, de Konia, de Mersifoun, de Kharpout etc., furent tous exilés et ensuite massacrés. Aux promesses données par le gouvernement central, on donnait une interprétation arbitraire. Ils y étaient autorisés par le même gouvernement central. Le Docteur Lepsius a relevé la rigueur spéciale des mesures de suppression du clergé prises pour que les ouailles restassent sans bergers.
Cependant, aux yeux du Comité Jeune-Turc, les Arméniens catholiques présentaient un danger plus réel, du fait qu’ils étaient considérés comme des protégés de la France ennemie et qu’ils intéressaient aussi les catholiques des pays alliés de la Turquie. Les Arméniens catholiques, contrairement aux aveux réitérés des gouvernements ottomans les reconnaissant pour des sujets fidèles et disciplinés, constituaient, au regard des Jeunes-Turcs, un élément encore plus dangereux que les Arméniens grégoriens, en raison même de leur union confessionnelle avec l’Occident catholique par lequel ils pouvaient, comme dans le passé, provoquer une intervention des Puissances européennes plus fondée, en droit et en fait, contre le programme jeune-turc, d’une Turquie aux Turcs, gouvernée exclusivement par des Turcs et soigneusement tenue à l’écart de tout contrôle étranger, de toute immixtion de l’Europe chrétienne. Aussi, des ordres très sévères avaient-ils été donnés pour sévir avec plus de rigueur contre les Arméniens catholiques, en vue de leur extermination et pour devancer les recours éventuels du Patriarcat Arménien catholique de Constantinople et éviter en conséquence les protestations de la Délégation Apostolique auprès des Ambassades d’Autriche, d’Allemagne, des Etat-Unis et autres. En un mot, les Arméniens catholiques, du fait qu’ils étaient plus disciplinés et plus concentrés autour de leur Patriarcat et, dans leurs diocèses, disséminés sur toute l’étendue de l’Empire turc, autour de leurs évêques, étaient considérés par les Jeunes-Turcs comme un élément conspirateur par principe et par doctrine contre l’indépendance absolue de la Turquie et inspiré par des tendances séparatistes en tant que coreligionnaires de la plupart des chrétiens d’Occident. La preuve de cette mentalité est dans la suppression de la presque totalité du clergé Arménien catholique et dans les principes et propositions d’Ahmad Riza Bey, publiés dans son livre précité et dont nous reproduisons ci-dessous une partie :
« 1) Malgré leur soi-disant émancipation religieuse, la plupart des Occidentaux partagent encore les idées des Croisés leurs ancêtres. Les mobiles profonds de leurs actes n’ont pas changé.
« 2) Une longue période de neuf siècles n’a pu faire disparaître ces sentiments de haine accumulée par les Croisades contre les Turcs, chez les peuples chrétiens ou modifier la politique orientale des hommes d’État de l’Occident.
« 3) La papauté, pour réaliser ses expéditions, avait fanatisé l’Europe, surexcité les sentiments et éveillé des espérances par des promesses insensées. Sous le masque de la civilisation moderne, on retrouve encore des idées et les croyances du Moyen Âge.
« 4) Nombreux sont encore en France les hommes politiques (et parmi ceux-là mêmes qui se disent et qui se croient peut-être les fils légitimes de la Révolution et qui sont les plus farouches anticléricaux) qui ont gardé un reste de la foi de leurs aïeux. Ils sont Catholiques de tradition, libres-penseurs de tempérament, très démocrates dans leurs discours, lorsqu’ils ont à ménager l’opinion publique. Mais lorsqu’il s’agit de mettre leurs actes d’accord avec leurs paroles, on ne les reconnaît plus.
« 5) La France et l’Italie conservent encore une structure catholique. Des millions de gens qui ne pratiquent pas sont religieux par sentiment et ce sentiment est plus fort que la croyance.
« 6) Pendant tout le Moyen Âge on ne considérait comme vrai que ce qui était admis par l’Église. Ces erreurs et ces préjugés se sont transmis de génération en génération. Le Foreign Office, le Quai d’Orsay et la Consulta se sont substitués à l’Église, les préjugés religieux sont suppléés par les illusions politiques : les agents soumis à leur croyance continuent à propager les mêmes chimères.
« 7) D’après l’Européen, instruit par une partie de la presse et par l’Église, le Turc n’est qu’un barbare toujours souillé du sang de ses victimes… c’est un être malfaisant, cause de tous les malheurs de l’Europe. Nourri de haine, il ne doit inspirer que de la haine… et de son extermination dépend la tranquillité du monde.
« 8) Il faut que l’Occident se régénère d’abord avant d’être digne de transformer l’Orient. Je ne conçois rien de plus absurde et en même temps rien de plus impertinent que la prétention des Chrétiens à diriger le genre humain (paroles de Pierre Laffitte citées par Ahmed Riza). Les idées théologiques ne suffisent pas à réaliser l’Unité des peuples ni à les rapprocher entre eux.
« 9) En réalité aucun État chrétien n’a le droit, au point de vue moral surtout, d’imposer des lois à la conscience des Musulmans et de régler leurs actions.
Ces quelques pensées d’un Jeune-Turc convaincu dévoilent toute une psychologie anti-catholique, dressée surtout et en tout contre l’Église et la Papauté dont les adeptes, « ne voulant qu’élargir son royaume et tyranniser le monde » constituent par là même l’élément le plus dangereux pour la Turquie. Dès lors, il ne faut pas s’étonner si les catholiques Arméniens furent aussi maltraités que les agents des comités révolutionnaires Arméniens.
Ce Jeune-Turc convaincu qui avait la réputation d’homme modéré était Ahmed Riza ; il dirigeait le journal Mechveret (Moniteur) et il avait groupé comme collaborateurs des Jeunes-Turcs. Il fut élu Président de la nouvelle Chambre des députés contre Ismaïl Kémal du Parti libéral et chef de l’opposition du Comité Jeune-Turc.
D- Le fait des massacres. Responsabilité. (p. 17-35)
Dans son livre documentaire intitulé « La Société des Nations et les Puissances devant le problème arménien », M. André Mandelstam, ancien premier drogman [interprète] de l’Ambassade de Russie à Constantinople et ancien directeur au Ministère des Affaires Étrangères de Russie, consacre un chapitre presque entièrement réservé aux documents diplomatiques de premier choix relatifs aux massacres. Nous en reproduisons ici un extrait :
« Le Gouvernement Jeune-Turc a profité de la guerre mondiale pour faire massacrer ou laisser périr par la faim, la soif et les maladies et sous les mauvais traitements près d’un million de sujets Arméniens de Turquie. Au cours du printemps et de l’été de 1915, sur l’ordre du gouvernement Jeune- Turc aux commandants d’armée et aux autorités civiles des provinces, une partie des Arméniens des vilayets orientaux de la Turquie furent massacrés sur place, d’autres déportés vers le sud et décimés en route ».
Les persécutions et les massacres des Arméniens à cette époque (1914-1915) furent plus cruels que les précédents. Les Turcs pouvaient-ils ne pas profiter de ce moment propice pour supprimer et anéantir les détestables chrétiens ? Aux déportations et massacres dans l’Arménie Majeure et Mineure succéda une famine provoquée par les Turcs pour exterminer la race arménienne, partout dans les villes et les villages on ne rencontrait que des caravanes d’Arméniens destinés en masse à la boucherie. Le chiffre des victimes, depuis le littoral de la Mer Noire jusqu’aux déserts de la Syrie et de la à Mésopotamie, fut estimé à plus d’un million (Témoignage d’un missionnaire italien P.G.). René Pinon, dans son livre « La suppression des Arméniens » publié en 1916, au cours donc des massacres commencés dans la moitié de l’année précédente, trouve exagéré le chiffre donné alors par certains journaux, de 850.000, et il le croit voisin de 500.000. Nous pouvons y ajouter sans exagération un million encore de victimes par suite des mesures prises pendant et après la guerre jusqu’à la date de l’évacuation de la Cilicie et des vilayets d’Anatolie, où bon nombre de survivants avaient pu rentrer à l’annonce de l’Armistice de Moudros.
Les autorités turques, non seulement ne prenaient aucune mesure pour le ravitaillement et la sécurité des convois, mais encourageaient et souvent même en organisaient l’attaque et le pillage par les villageois et les brigands Turcs et Kurdes ou le massacre par les gendarmes chargés de leur protection. Des milliers de déportés tombaient épuisés de faim, de soif et de fatigue. Parfois les bourreaux noyaient leurs victimes dans les fleuves, les brûlaient vifs ou les assommaient avec des raffinements de torture. Souvent aussi les jeunes femmes et les enfants étaient enlevés et vendus aux harems musulmans. D’autres déportés mouraient d’inanition ou de maladie à leur arrivée dans les camps malsains de concentration en Mésopotamie ou dans le désert arabique : parfois ils y étaient tout simplement massacrés. « La déportation des Arméniens, a dit Lepsius, témoin allemand, n’a été qu’une forme polie de massacre ».
Ces faits atroces ont été établis au cours même de la grande guerre, par des preuves irréfutables. Un Livre Bleu anglais et une publication du comité suisse de l’ « Œuvre de secours aux Arméniens » ont réuni un matériel accablant pour la Turquie, provenant, pour la plupart, de témoins oculaires de nationalité neutre (Américaine, Suisse, Danoise), missionnaires, Sœurs de Charité, employés de la Croix-Rouge, médecins, professeurs ; quelques-uns des témoignages émanent même d’Allemands (par exemple le professeur Martin Niepage). Et après la guerre le gouvernement allemand lui-même a autorisé le Dr. Johannes Lepsius à publier la correspondance du Ministère des Affaires Etrangères pendant les années 1914-1918, correspondance mettant complètement à nu les horreurs commises par l’allié Turc de l’Allemagne (Deutschland und Armenien, von Johannes Lepsius, Potsdam 1919)…
Le Recueil de M. Lepsius qui publie tous ces rapports, est une réfutation définitive de toutes les légendes et de tous les mensonges mis en cours par les Jeunes-Turcs pour nier et atténuer leurs responsabilités. En outre, le Recueil a coupé court à la légende officielle turque sur des insurrections arméniennes. Avant la déportation, il n’y eut que trois rencontres insignifiantes entre des gendarmes et des déserteurs (à Mouch, à Zeitoun et à Van). Après le commencement des massacres, dans certains endroits, à Van, à Chabin-Karahissar, à Ourfa et à Suédiyé, les Arméniens n’opposèrent qu’une résistance armée aux massacreurs, résistance qui dut peut-être sembler criminelle aux Turcs habitués selon une bonne vieille tradition à une attitude plus passive de leurs victimes. Ainsi la célèbre « révolte » de Van consista en ceci : après que le Wali Djevdet Bey eût commencé à massacrer les villages des environs et fait assassiner quelques chefs Arméniens, les Arméniens de Van se barricadèrent dans leur quartier et se défendirent avec succès contre les troupes turques jusqu’à l’arrivée des Russes.
Et cependant, dans toutes ces soi-disant insurrections, les Turcs ne perdirent pas plus de 300 hommes au dire des allemands (Deutschland und Armenian, page LXXVIII – LXIX). Les rapports consulaires allemands infligent un démenti formel à une autre accusation produite par les Turcs contre les Arméniens, celle d’avoir projeté un soulèvement général dans tout l’Empire. Ces rapports certifient, au contraire, que la conduite des Arméniens a été irréprochable et qu’il n’y avait aucune preuve de leur trahison (Deutshland und Armenian p. LXX). Enfin les racontars turcs sur les massacres perpétrés par les Arméniens sur les Turcs sont du domaine de la plus pure fantaisie. M. Lepsius donne un exemple frappant de la mauvaise foi insigne des accusations turques. Ainsi, un communiqué turc du 29 juin 1915 affirme que des 180.000 habitants musulmans du vilayet de Van, 30.000 à peine ont pu se sauver, les autres restant exposés aux assassinats des Russes et des Arméniens sans qu’on eût pu avoir des nouvelles de leur sort. Anwar Pacha fait une déclaration disant à son tour que des 150.000 turcs du Wilayet de Van, 30.000 seulement sont en vie. Et enfin, un communiqué de l’ambassade turque à Berlin du 1er octobre 1915 parle d’une révolte arménienne qui a coûté la vie aux 180.000 musulmans de Van ! En réalité, les 30.000 Turcs de Van s’étaient enfuis non pas devant une révolte arménienne, mais devant l’avance de l’armée russe. Quant aux 150.000 musulmans kurdes restés dans le pays, ils n’ont eu à souffrir ni des Russes, ni des Arméniens. Et les pertes des Turcs pendant les troubles de Van s’élèvent, d’après Lepsius, non pas à 180.000 mais à 18 environ (Deutschland und Armenien, p. LXXII-LXXIV). Il s’agissait là d’une défense en règle des Arméniens attaqués par les Turcs. Nous en rapporterons quelques détails dans la IIème partie de ces notes.
Des actes individuels de vengeance de la part des Arméniens peuvent certainement avoir eu lieu, mais comme le fait ressortir avec raison M. Lepsius, il importe de constater que ces actes, au dire même des sources turques, auraient eu lieu, non pas avant mais après la déportation et les massacres (Deutschland und Armenien p. LXXVI) ; mais la contribution la plus importante que le Recueil allemand fournit à l’histoire des relations turco-arméniennes pendant la Grande Guerre est certainement la confirmation qu’il apporte à tous les témoignages précédents sur le rôle du gouvernement Turc dans l’organisation des massacres. Tous les rapports consulaires et diplomatiques allemands s’accordent à constater que les massacres ont été perpétrés sur l’ordre du gouvernement poursuivant le plan méthodique d’une destruction complète du peuple arménien. Voici les extraits de quelques-uns de ces rapports (Deutschland und Armenian p. LXXVI) :
• « Il ne s’agit de rien moins que de la destruction ou de l’islamisation par force de tout un peuple » (Rapport du Consul Kuckhoff, de Samsoun, du 4 Juillet 1915, N. 116 du Recueil).
• Le 7 Juillet 1915 on trouve l’aveu suivant du Représentant de l’Allemagne, décidé enfin à donner au gouvernement turc un sévère avertissement :
« Il y a 15 jours à peine, l’exil et la déportation des Arméniens étaient limités aux villes limitrophes du front oriental de la guerre et à quelques zones de la Province d’Adana. Mais depuis, la Sublime Porte a décidé d’étendre la même mesure aux Provinces de Trébizonde, de Maamouret-el-Aziz, de Sivas et elle en a déjà commencé l’application, quoique ces régions ne soient pas sous la menace immédiate d’une avance ennemie. Cette circonstance et la méthode de l’exécution des mesures prouvent que le Gouvernement (turc) a réellement l’intention de supprimer la race arménienne de l’Empire ».
« Je suppose que mes rapports précédents ont démontré que le gouvernement turc a de beaucoup dépassé les limites des mesures justifiées de protection contre des intrigues arméniennes, réelles ou présumées, et que par l’extension aux femmes et aux enfants des ordres dont il a imposé l’exécution aux autorités dans les formes les plus dures et les plus raides, ce gouvernement poursuit consciemment la destruction d’aussi grandes parties que possible du peuple arménien, par des moyens empruntés à l’antiquité et qui sont indignes d’un gouvernement qui veut être l’allié de l’Allemagne. Il a, sans nul doute, voulu se servir de la circonstance qu’il se trouve en guerre avec la quadruple Entente, pour se débarrasser de la question arménienne dans l’avenir, en ne laissant subsister que le nombre le plus minime possible de communautés arméniennes organisées. Il a fait des hécatombes d’innocents avec les quelques coupables (Rapport du Consul Russler, d’Alep, du 27 Juillet 1915, N. 120 du Recueil). Les partisans de la dernière orientation (l’orientation extrême du Comité Jeune-Turc) conviennent que le but final de leur action contre les Arméniens est leur extermination complète en Turquie. Après la guerre nous n’aurons plus d’Arméniens en Turquie, a dit textuellement une personnalité autorisée ». (Rapport du Consul Von Scheubner-Richter, d’Erzeroum, du 28 Juillet 1915, N. 123 du Recueil).
• Henry Wood, dans son rapport du 14 août 1915, publie une réponse d’Enver à des démarches faites en faveur des Arméniens innocents : « Il nous est difficile pour les exempter de discerner les innocents des coupables parmi les 2 millions d’Arméniens ; en les supprimant tous, nous sommes sûrs d’atteindre les coupables ».
• Le Gouvernement Jeune Turc a décidé que la population arménienne de la Turquie devait être ramenée à une condition d’infériorité telle qu’elle ne puisse pas se relever pendant cinquante ans ; à la race turque on doit assurer une supériorité absolue ; c’est là une des maximes du régime Jeune-Turc. Les allemands de Konia écrivaient à leur ambassade à Constantinople, le 16 août 1915 : « Toutes ces mesures ont pour but, selon toutes les apparences, l’extermination des Arméniens. Ce traitement inhumain constitue une honte indélébile devant l’Histoire ».
• Les nouvelles d’islamisation forcée ayant soulevé l’indignation en Allemagne, un grand nombre de Protestants influents et les membres du Congrès Central des Missions catholiques présentèrent un Mémorandum, le 12 Novembre 1915, à M. Peter Holped, et celui-ci promit de faire son possible pour que les chrétiens de Turquie ne fussent plus persécutés pour leur croyance. Mais la suppression des races non turques était le but commun d’Enver et de Talaat ; le premier voulait y arriver par la dispersion et la fusion des chrétiens parmi les musulmans ; le second par les massacres. C’est pourquoi des enfants au-dessous de 13 ans et des femmes furent distribués dans des maisons turques et les autres Arméniens inexorablement conduits au massacre.
Un ingénieur allemand, qui était occupé, pendant les événements décisifs, à la construction du chemin de fer de Baghdad à Ras-el-Ayn et à Tell-Abiad et qui est entièrement digne de confiance, a donné des rapports émouvants qui permettaient de se rendre compte de l’extermination consciente et voulue des déportés par les organes du gouvernement turc.(Rapport du Consul Russler d’Alep, du 3 Janvier 1916, No 226 du Recueil.) Une grande partie du comité Jeune-Turc procède du point de vue que l’Empire turc doit être construit sur une base purement musulmane et pan-turque. Les habitants non musulmans et non turcs de l’État doivent être islamisés et turquifiés par la force et là où cela n’est pas possible, exterminés. Le temps actuel semble à ces Messieurs le plus propice pour la réalisation de ce plan. Le premier point de leur programme comportait la liquidation des Arméniens. (Rapport du Consul Von Scheubner-Richter daté de Munich, le 4 décembre 1916, n. 300 du Recueil).
• Les Ambassadeurs allemands ne sont pas moins affirmatifs que les Consuls. Déjà, à la date du 7 Juin 1915, l’Ambassadeur Wangenheim qui, le 31 mai, avait soutenu la mesure de déportation devant le Chancelier Bethmann-Hollweg, écrivait à ce même Chancelier que « Le Gouvernement (Jeune Turc) poursuit en réalité le but d’anéantir la race arménienne dans l’Empire turc ». Le même, le 17 Juin 1915, revenait à sa conviction en écrivant au même chancelier : « Il est évident que la déportation des Arméniens n’est pas motivée par les seules considérations militaires. Le Ministre de l’Intérieur, Talaat bey, a dernièrement, dans une conversation avec le Dr. Mordtmann, actuellement au service de l’Ambassade impériale, déclaré ouvertement que la Porte voulait profiter de la guerre mondiale pour en finir radicalement (Grundlich aufzuraumen) avec leurs ennemis intérieurs (les Chrétiens autochtones) sans être gênés par l’intervention diplomatique de l’étranger » (N. 81).
• Le même Baron Wangenheim écrit le 17 juillet dans son rapport sur l’extension de la mesure de déportation aux provinces qui ne sont pas menacées par une invasion ennemie : « Cette circonstance et la manière avec laquelle s’effectue la déportation (Umsiedlungen) démontrent que le gouvernement poursuit réellement le but d’exterminer la race arménienne dans l’Empire Ottoman » (N. 106).
• Le Prince Hohenlohe télégraphie le 2 août 1915, au Consulat d’Allemagne à Alep : « Toutes nos représentations ont été sans résultat, en présence de la détermination du gouvernement de se débarrasser des Chrétiens indigènes des provinces orientales » (N. 127).
• Très intéressant est également un rapport daté du 30 Juin 1916 adressé par le Comte Wolff-Metternich au Chancelier de l’Empire, où l’Ambassadeur décrit la pression que le comité Jeune-Turc exerce partout sur le gouvernement qui est d’ailleurs son émanation ; le rapport nous montre en même temps en quelle estime ce diplomate allemand tenait ses alliés jeunes-turcs :
« Le Comité, écrit l’Ambassadeur, exige l’extermination des derniers restes des Arméniens et le Gouvernement doit céder. Mais le Gouvernement n’est pas seulement l’organisation du parti gouvernemental dans la capitale. A toutes les autorités, du Vali au Caimacam est adjoint un membre du Comité pour les soutenir et les surveiller. Les déportations des Arméniens ont recommencé partout. Mais les loups affamés du Comité n’ont plus beaucoup à attendre de ces malheureux, si ce n’est l’assouvissement de leur fureur fanatique de persécution. Les propriétés sont confisquées depuis longtemps et leurs biens liquidés par une soi-disant commission des biens abandonnés (Envale-Metroulié). Si, par exemple, un Arménien possédait une maison évaluée à 100 ltqs. Elle a été adjugée à un Turc, ami ou membre du Comité à 2 ltqs. Il n’y a donc plus rien à chercher chez les Arméniens. Aussi la meute se prépare avec impatience pour le moment où la Grèce, forcée par l’Entente, se déclarera contre la Turquie ou ses alliés. Il y aura alors des massacres sur une échelle plus grande que ceux des Arméniens. Les victimes sont plus nombreuses et le butin plus tentant. L’hellénisme est l’élément culturel de la Turquie. Il sera détruit comme l’élément arménien si des influences étrangères ne s’y opposent pas. Turquifier veut dire chasser ou tuer et exterminer tout ce qui n’est pas turc et s’emparer par la force des biens d’autrui. En cela et dans le braillement des phrases révolutionnaires françaises consiste pour le moment la célèbre renaissance de la Turquie (N. 282).
• Terminons par la dépêche au Chancelier Bethmann-Hollweg du même Comte Wolff-Metternich, en date du 10 Juillet 1916 :
« Dans la réalisation de son programme qui consiste à résoudre la question arménienne par la destruction de la race arménienne le gouvernement turc ne s’est laissé arrêter ni par nos représentations, ni par celles de l’Ambassade d’Amérique et du Délégué du Pape ni par les menaces de l’Entente, ni le moins du monde par des égards pour l’opinion publique de l’Occident » (N. 287).
En résumé, la correspondance diplomatique allemande prouve péremptoirement que les massacres arméniens ont été exécutés sur les ordres du gouvernement Jeune-Turc désirant profiter de la Grande guerre pour en finir, une fois pour toutes, avec la question arménienne. Certes, pendant l’exécution de cette mesure administrative turque, le fanatisme, la cruauté, les instincts rapaces de la populace ont pu se manifester dans leur plus effroyable laideur. Mais l’initiative des massacres ne revient nullement à une explosion de l’indignation populaire provoquée par une prétendue trahison arménienne, comme tâchaient de le faire accroire les Jeunes Turcs. Aux légendes et mensonges turcs déjà réfutés dans la presse des Etats de l’Entente et des pays neutres, la publication de la correspondance diplomatique allemande a donné le coup de grâce. Il est en effet impossible d’incriminer la valeur des témoignages des fonctionnaires de l’Allemagne, alliée de la Turquie, renseignant leur gouvernement au jour le jour et en détail, sur la situation intérieure de l’Empire ottoman qui pouvait exercer la plus grande influence sur le cours de la Grande Guerre. Nous ne saurions mieux clore ce chapitre consacré à l’établissement de la responsabilité des Jeunes-Turcs qu’en revenant à la déclaration du Grand Vizir Damad Pacha, faite devant le Conseil Suprême le 17 Juin 1919. Il y a lieu de souligner la reconnaissance des crimes du gouvernement jeune-turc par le gouvernement ottoman qui lui a succédé :
« Au cours de la guerre, déclare le Grand Vizir, presque tout le monde civilisé s’est ému au récit des crimes que les Turcs auraient commis. Loin de moi la pensée de travestir ces forfaits qui sont de nature à faire toujours tressaillir d’horreur la conscience humaine. Je chercherai encore moins à atténuer le degré de culpabilité des acteurs du grand drame. Le but que je me propose est de montrer au monde, avec des preuves à l’appui, quels sont les véritables auteurs responsables de ces crimes épouvantables ».
E- Témoignage de Mgr. André Ahmaranian (p. 316-344)
Une mission envoyée en visite apostolique… composée de Mgr. Koyounian Pierre, Archevêque titulaire de Calcédoine et ordonnant des prêtres de rite arménien à Rome, de l’Abbé Pierre Kédidjian, son Secrétaire et d’André Ahmaranian, curé, a vu de nombreux survivants, vrais confesseurs de la foi, dont la plupart traînaient joyeusement leurs corps mutilés, des femmes manquant de tout et même des enfants aux pieds et aux mains coupés, des hommes de tout âge ayant les oreilles et le nez coupés. L’Archiprêtre Ahmaranian susmentionné nous a, sur notre demande, envoyé un compte rendu exact des événements et de l’état de l’archidiocèse où il fut chargé de l’assistance de nos fidèles pendant dix ans après l’armistice…
« Chaque fois que je me rappelle les douloureux événements de notre Diocèse arménien catholique, événements qui se sont déroulés au cours de l’année 1915, débordants de sang, ainsi que des atrocités des massacres sans précédents, des destructions qui les suivirent, mon cœur se brise de douleur et les larmes me coulent des yeux. Je déplore le sort de ce diocèse, fleur de tous les autres diocèses arméniens catholiques, flambeau éclatant de foi et de vie religieuse, car ses fidèles d’une foi ardente et attachés à l’Église catholique, se distinguaient par la pratique de la religion, par tradition ancestrale, ainsi que par la fidélité aux autorités et institutions de l’Empire Ottoman. D’abord, je ne pouvais pas croire à tout un reportage ayant trait à ces malheurs, à ces faits d’une atrocité inouïe, jusqu’à ce que j’aie eu l’occasion de m’en rendre compte personnellement, et cela après ma rentrée en ma ville natale, le 12 octobre 1919, en compagnie de Mgr. Pierre Koyounian, visiteur apostolique, qui était venu de Rome à Mardine, par Istanboul, en tournée d’inspection, pour y reconstituer ensuite tout ce qui était détruit. J’ai pu recueillir les nouvelles des évènements déplorés, au cours de dix ans de présence à Mardine, dans cette cité malheureuse, où je me suis dévoué au service spirituel de nos catholiques et j’ai pu me renseigner ainsi sur le sort de chaque famille et enregistrer les notices les plus certaines de la bouche des témoins oculaires qui n’avaient plus de raison pour hésiter à me décrire la réalité des vexations, de l’oppression et des crimes perpétrés par les ennemis du nom chrétien contre une multitude d’hommes, de femmes, de jeunes gens et de jeunes filles, de vieillards et d’enfants, sans pitié, sans compassion, même contre les nouveaux nés. »
L’abbé Ahmaranian ajoute d’autres détails intéressants sur l’arrestation et les emprisonnements du 3 au 10 juin :
« Le 3 juin, les soldats ont arrêté Mgr. Maloyan et l’ont conduit au sérail du Gouvernement. À ce moment, une dispute s’est élevée entre lui et le Moutassarrif, au cours de laquelle l’évêque a pu répondre fermement et avec courage à toute question qui lui était posée. Toutefois, les officiers refusèrent d’être convaincus et ils l’ont fait étendre par terre et l’un d’eux l’a sauvagement battu. Le prélat lui a dit : « Tu n’as pas le droit de frapper une personne que le Haut Gouvernement a désigné comme chef religieux et à qui il a accordé une décoration d’honneur et le Firman El-Chahani ». Le Gouverneur lui a répondu que l’épée, aujourd’hui, remplaçait l’État et que la décoration et le Firman ne pouvaient lui être utiles.
Ensuite un autre militaire d’entre eux lui a dit : « Je vous conseille d’accepter la religion musulmane ». L’évêque, à ce moment, s’est mis en colère et a hautement répondu : « Non, non. Je ne renie jamais mon sauveur Jésus-Christ et suis prêt à verser mon sang pour ma foi, cela est plus doux pour mon cœur. Frappez-moi, coupez-moi en morceaux, je ne renie pas ma foi chrétienne ». L’évêque ayant excité la haine et la colère des personnes présentes par ses paroles pleines de courage et de bravoure, l’un d’eux l’a giflé en lui disant : « C’est ainsi que vous dédaignez notre religion au Sérail même du Gouvernement ? Je jure que je vous torturerai de mon mieux ».
Pendant la nuit, il l’ont fait étendre par terre, ils lui ont lié les pieds, et lui ont donné douze coups de fouet sur les pieds. À chaque coup, il cria à haute voix : « Mon Dieu, ayez pitié de moi ». Ensuite, ils l’ont traîné par les pieds, ses membres ont été contusionnés et alors il a dit à haute voix : « Que celui des prêtres qui m’entend me donne la dernière absolution ». Le Père Kasparian a réalisé son désir.
Les ennemis ne se sont pas contentés de tous ces supplices ; ils lui ont arraché les ongles des orteils. Il est resté souffrant jusqu’au 9 juin et à cette date, sa mère ayant été autorisée à lui rendre visite, il lui a demandé alors de lui remettre de larges souliers. Le prélat n’a pas fait allusion à sa mère de tout ce qu’il avait supporté pour ne pas l’attrister.
Le 10 juin, Monseigneur Maloyan a été transporté hors de la ville, en compagnie de son clergé et des notables de son diocèse, le convoi comptait 417 personnes. Ils ont été tous torturés, l’Evêque est resté le dernier. Il a adressé à l’officier supérieur la parole suivante : « Je suis convaincu maintenant que vos adjoints ont torturé et frappé mes enfants à mort, je ne doute pas que j’aurai à mon tour le même sort. Je te prie de m’autoriser à leur faire entendre ma dernière parole ». Le prélat s’est agenouillé à terre et les fidèles l’ont suivi. Il a demandé à Dieu de les aider, il a pris des morceaux de pain, il les a consacrés et les leur a distribués. Un nuage lumineux a couvert le mystère alors que l’Évêque communiait les martyrs. Des témoins assistants turcs ont témoigné plus tard avoir senti des odeurs délicieuses. Tous les communiants étaient joyeux.
Enfin, le prélat s’est adressé à Mamdouh en lui disant : « J’ai accompli mon dernier devoir, fais maintenant ce que tu veux ». Alors le convoi fut conduit à la Citadelle de Zirzawane, où tous ont été martyrisés. L’évêque et Mamdouh sont restés seuls. Mamdouh a réitéré ses questions au prélat qui lui a dit : « Je vois que tu veux ignorer tout ce que je t’ai déclaré, soit que toutes vos accusations dirigées contre moi sont dénuées de fondement. Tue-moi et laisse-moi rejoindre mes camarades ». Alors Mamdouh, prenant son revolver, a tiré un coup à la tête de l’Évêque qui tomba martyr de la foi chrétienne.
a- Nécrologie du clergé arménien catholique
Nous suivrons dans la liste des personnes et lieux selon les indications de l’Archiprêtre Ahmaranian.
• Monseigneur Ignace Maloyan, né à Mardine le 8 avril 1869, entra au Séminaire patriarcal de Bzommar en 1883, où il fut ordonné prêtre en 1896 ; il fut chargé du Vicariat d’Alexandrie d’où il fut promu au siège archiépiscopal de Mardine en 1911. À cette occasion, en passant par le couvent de Bzommar, il a déclaré ces quelques mots qui reflètent l’esprit de modestie et les sentiments dignes d’un futur martyr : « Je n’ai rien fait de remarquable ni de méritoire pendant ma vie sacerdotale ; maintenant Évêque, devant entrer dans mon pays d’origine à Mardine, j’y vais par ordre de S. B. Monseigneur le Patriarche pour y expier mes péchés et y rétablir la paix et la concorde dans le cœur de mes diocésains… C’est un épisode dans ma misérable vie. Quant à mon passé sans importance, il est connu par tous au Couvent ». C’est avec ces sentiments d’expiation et d’amour pastoral qu’il arriva à Mardine, vers la fin de l’année 1912. Il s’y est déployé surtout pour le progrès culturel et religieux du Diocèse ; il se dévoua particulièrement à la prédication, en organisant des retraites annuelles qu’il prêchait personnellement pour toutes les catégories de ses fidèles. Au début de la guerre mondiale, il pressentait son martyre comme nous l’avons vu, et il l’a subi en digne et vaillant Pasteur, le 11 juin 1915, en la Fête du Sacré-Cœur de Jésus. Son diocèse était desservi par 19 prêtres, ainsi répartis à Mardine et dans ses dépendances : Dans la cathédrale S. Georges : • Jean Potourian, né à Mardine en 1835, ordonné prêtre dans la ville même en 1865 ; c’était le doyen du clergé. Il fut emprisonné dans une pièce très étroite, longue et large de cinq empans, jusqu’au 15 juillet. Il en fut transféré et tué avec ses confrères du premier convoi [de femmes].
• Etienne Holozo, né en 1845, élève du séminaire patriarcal de Bzommar, ordonné prêtre à Mardine le 20 août 1870. Ce vieux curé de l’église Saint Joseph, après son arrestation, fut étendu par terre et battu d’une manière affreuse pour qu’il avoue avoir caché des armes, ce qu’il n’avait jamais fait.
• Jacques Fardjo, collègue de service de l’Abbé Etienne Holozo. Né en 1850 à Tell Armen, ordonné prêtre à Mardine en 1871. Il a suivi son compagnon en prison, il fut soumis à des flagellations et à toutes sortes d’insultes.
Après le départ de ces deux prêtres, l’église de Saint Joseph fut saccagée et dépouillée de tous les objets précieux et de valeur. Après le pillage de cette église, on se dirige vers l’église Cathédrale de Saint Georges où l’on détruisit d’abord les tombeaux des Archevêques, après quoi on déchira tous les tableaux sacrés en toile et on emporta enfin tous les ornements et vases sacrés.
Ces deux prêtres furent traînés dans le troisième convoi des déportés. Arrivés à la porte orientale de la ville, ils furent massacrés avec la foule du convoi, le 2 juillet 1915.
• André Bedrossian, né à Mardine en 1844, ordonné prêtre dans la même ville le 30 août 1871, tué à Dérik où il était Curé.
• Athanase Batanian, né le 4 mars 1862 et ordonné prêtre à Mardine le 25 mars 1884, tué dans le premier convoi.
• Antoine Ahmaranian, né le 20 septembre 1862 et ordonné prêtre à Mardine le 21 octobre 1888, il fut arrêté à Tell Armen où il était curé et amené à Mardine dans des conditions atroces. Là, il fut obligé à s’agenouiller au milieu de la place publique et se traîner à genoux avec le voile de son chapeau oriental dans la bouche. Un cortège de gens le suivit avec des rires moqueurs et des insultes jusqu’aux prisons où il rejoignit ses confrères. Il fut ensuite dirigé avec les autres prêtres et les notables vers le lieu du martyre le 10 juin 1915.
• Ishac Holozo, né le 1877 à Mardine, ordonné prêtre le 27 janvier 1895, il fut arrêté le 3 juin à Véranchéhir, dont il était le curé, dirigé sur Diarbékir où il fut d’abord emprisonné et soumis aux traitements que nous connaissons ; 15 jours après, il fut conduit sur une colline près de la ville et y fut tué.
• Léon Nazar ian, né le 18 avril 1866 et ordonné prêtre à Mardine le 19 janvier 1892 ; il fut déporté de Diarbékir où il se trouvait à cette époque pour affaires et il fut tué en route.
• Minas Namé, né le 2 juin 1874 et ordonné prêtre à Mardine en 1903, le 1er janvier. Enlevé de Tell Armen, séparément de son collègue Ahmaranian, il fut déporté et tué au village de Dara, le 26 juillet 1915.
• J. Baptiste Kaliounji, né le 1er janvier 1878, ordonné prêtre à Mardine le 19 janvier 1898, il fut déporté et tué au village de Dara ; on lui avait arraché les ongles des orteils avant de le déporter.
• Nerses Tchéro, né le 15 août, ordonné prêtre le 18 mai 1904 à Mardine. Il fut tué à Seert.
• P. Paul Kasparian, Méchitariste de Venise, né à Mardine en 1880. Ordonné à saint Lazare de Venise, en 1906, massacré dans le convoi de Mgr. L’Archevêque, dont il était le secrétaire, le 11 juin 1915.
• Ignace Chady, né à Mardine en 1889, élève du Séminaire de Saint Louis à Constantinople, ordonné prêtre à Mardine quelques semaines avant l’arrestation de l’Archevêque dans le but de le faire exempter du service militaire. Il fut déporté et assassiné à Dara.
• Augustin Baghdassarian, né en 1887, ordonné prêtre à Mardine en 1911.
• Vartan Sabaghian, né en 1888, ordonné prêtre en 1911, tué en déportation.
• Gabriel Katmardji, né le 13 mai 1888, élève du Séminaire de saint Louis à Constantinople. Avant de le déporter, on lui rasa la barbe, ensuite on le battit affreusement, on lui arracha les ongles des orteils, puis on le fit marcher dans ces conditions jusqu’à ce qu’il eût rejoint le premier convoi des déportés avec lesquels il fut tué ; avant de mourir il avala une relique de la Sainte Croix pour la préserver de la profanation.
• Paul Chadian, curé de Dara. Né à Mardine en 1880, ordonné prêtre en 1909.
À tous ces prêtres, on proposa d’apostasier. Au refus net qu’ils n’hésitèrent pas à faire à haute voix, ils furent soumis aux tortures les plus variées et ensuite ils furent tués. Les citadelles de Zirzawane, d’Akrasse et de Dara en garderont dans leurs citernes historiques les glorieuses dépouilles.
b- Nécrologie de quelques notables de Mardine
L’Archiprêtre Ahmaranian, à la liste des prêtres massacrés, ajoute celle de quelques notables arméniens catholiques de Mardine qui se distinguèrent par leur courageuse attitude de vrais chrétiens devant la mort violente qu’ils subirent dans des conditions affreuses. Comme dans les autres villes des Provinces de l’Empire, les auteurs du projet de suppression de la race arménienne se sont empressés de se débarrasser d’abord des intellectuels suspects à leurs yeux de trahison ou de révolte. À Mardine où la communauté arménienne, entièrement catholique, ne pouvait pas présenter le danger présumé, ils se sont lancés sur les notables arméniens catholiques les plus en vue et, après les avoir arrêtés, ils les ont emprisonnés et soumis à toutes les tortures les plus atroces prescrites par le comité chargé de l’exécution du projet des déportations et des massacres. Ces Catholiques, comme tous les autres fidèles, se sont distingués par la persévérance dans leur foi ancestrale et par le courage chrétien avec lequel ils préférèrent la mort à l’apostasie. Nous mentionnerons les noms suivants d’après l’ordre et les indications de l’Archiprêtre Ahmaranian.
• Naoum Djinandji. On lui a lié les pieds en prison et on lui a infligé 82 coups de fouet et bastonnades. Après cette torture, on l’a obligé à marcher et on l’a fait conduire à la terrasse des prisons d’où on l’a jeté à terre. Ses membres ayant été brisés à la suite de cette chute, ses camarades l’ont soulevé, l’encourageant à la patience jusqu’à la mort qu’il a subie en déportation.
• Antoun Kaspo. Il a reçu plus de 40 coups de fouet aux pieds. Il fut horriblement battu sur la tête. Ensuite, conduit sur un lieu élevé, il fut jeté à terre comme son camarade sus-mentionné. Il a été incarcéré le lendemain, pendant sept heures dans le cabinet d’aisances. Ensuite, l’un des criminels a recommencé à le battre jusqu’à ce que le pauvre Antoun, évanoui à la suite de ses douleurs, fût déporté et soumis au massacre.
• Abdulkarim Batri. Il fut lié et fouetté, recevant aux pieds plus de 150 coups que les prisonniers comptaient un à un ; leur cœur en était déchiré en voyant ses supplices. Il fut également précipité à terre par les bourreaux et obligé à rejoindre ses camarades des convois.
• Malallah. Il est le frère de Mgr. Ignace Maloyan. Les ennemis l’ont battu avec des bâtons et des fouets, à tour de rôle, jusqu’à ce que ses forces fussent épuisées. Il fut traîné ensuite à l’instar de ses camarades sur un lieu élevé et de là jeté à terre. À la suite de cette chute, il eut le dos brisé et les membres contusionnés ; dans cet état, il suivit le sort des caravanes en déportation.
• Iskandar Adam. Les ennemis ont suspendu un câble au plafond de la chambre des supplices et ils l’ont lié, ayant la tête attachée à une corde pendant des heures, sous risque d’expirer sur place. Ensuite Mamdouh Bey, le cruel bourreau, arriva pour le souffleter, le torturer. Puis on l’envoya rejoindre ses camarades pour être conduit au champ de la mort.
• Saïd Ibn-el-Wazir. On versa sur lui du pétrole et on l’a brûlé vivant.
• Ohannés Zaor. Il était sacristain de la Cathédrale saint Georges. La fureur des bourreaux s’est assouvie particulièrement sur lui pour lui faire avouer où était la cache des armes dans l’église. Ils firent ensuite suspendre des clochettes à son cou, l’obligèrent à marcher ainsi, pour être l’objet de leurs railleries. Enfin, il rejoignit le deuxième convoi et fut tué le 15 juin avec ses camarades.
• Daoud Hanna Soussé Djinandji. C’était un jeune homme, les ennemis lui ont brûlé le corps avec des barres de fer rougies et l’ont battu sauvagement. Il tomba victime de ses tortures le 6 juin. Ses dépouilles ont été traînées dans les rues. Ses parents ayant été mis au courant de cette scène tragique s’empressèrent de l’ensevelir, en le mouillant de leurs larmes.
• Saïd Batané. Moukhtar de la communauté arménienne catholique à Mardine, il était chargé, en même temps, de percevoir les taxes et impôts pour le gouvernement. Il fut arrêté le 11 Juin et conduit en prison. Il y fut sauvagement battu, son corps fut contusionné. Il fut ensuite brûlé par les barres de fer rougies. On lui infligea plus de 3000 coups de fouet que les prisonniers ont comptés un à un, ensuite il fut conduit dans une caverne près de la ville où il fut tué.
• Saïd Hailo. Il fut battu avec des cannes de grenadiers et il reçut plus des 550 coups. Il fut ensuite précipité à terre du haut d’un lieu élevé et tué avec ses camarades sus-mentionnés.
• Djerdjes ben Djebrael Hadjike. Cet enfant innocent fut cruellement battu en présence de son père Djebrael qui le regardait les yeux pleins de larmes et le cœur brisé de douleur. On le tortura ainsi pendant plusieurs jours. Et chaque fois on obligeait son père à le conduire lui-même à la salle des supplices et à l’emmener devant les Chrétiens afin qu’ils se rendent compte de sa situation. Enfin, le père et le fils furent transportés le 2 juillet sur le lieu fatal où ils furent tous deux martyrisés.
• Youssouf Malo. C’était un jeune homme modeste, sympathique, intelligent, âgé de seize ans. Il fut battu cruellement pendant quinze jours consécutifs, trois fois par jour dans les prisons, où il souffrit avec patience sans prononcer un mot de murmure et subit la mort en vaillant martyr de la foi catholique.
• Thomas Youssouf Handcho. Celui-ci fut battu sept fois. Ses membres se paralysèrent ; le sang lui coulait de tous les côtés du corps qui fut ainsi couvert de blessures. Enfin il fut transporté sur le champ de mort et tué le 2 juillet.
• Geries Hanna Adam. Geries fils de Hanna Adam est celui qui fut soumis à des supplices les plus cruels. Il fut arrêté le 25 mai et dirigé vers le Couvent des Sœurs franciscaines. Il fut déshabillé ; on lui versa de l’eau glacée pendant longtemps sur le corps ; il fut soumis aux mêmes tortures de la bastonnade au point de fatiguer les bourreaux. À chaque coup on lui disait : « Sois musulman, tu seras sauvé ». Mais le vaillant chrétien criait toujours à haute voix : « Je vis chrétien et je veux mourir dans la foi de Jésus-Christ ». On a continué à le frapper jusqu’à ce que son corps fût gonflé et sa chair mise en morceaux. Réduit à l’état de cadavre, il fut transporté chez ses parents qui lui donnèrent les soins nécessaires pour lui restituer ses forces. Mais plus tard, le 10 juin, il fut arrêté et mis de nouveau dans le premier convoi pour être conduit sur le champ de martyre et il y fut tué avec ses camarades.
Il faudrait ajouter encore au nombre de ces victimes : Fathallah Chalemé ; Djébrael Nehabiyé, qui eut l’esprit troublé ; Rizkallah Dilenji ; Chukri Kaspo ; Yacoub et Youhanna fils d’Abdulmessih Indjeym ; Youssouf Khezercha et son fils Mikhael ; Rizkallah Tazbaz et autres qui ont subi les supplices les plus durs et ont été tués sans pitié.
Il faut cependant signaler tout spécialement Berro, chef de Rossan et d’Elouayn, renommé par son influence et sa richesse. On se précipita à l’improviste sur son domicile et on l’y a tué avec tous les membres de sa famille ; ses biens furent ensuite confisqués.
c- Le cas et le témoignage d’Elias Gergis Nasri Nazar ian
À cette liste de notables, j’ajoute le témoignage d’un habitant de Mardine, victime du massacre, auquel il a pu réchapper par hasard. Ce témoin authentique vit encore aujourd’hui à Beyrouth et j’ai pu recueillir, de sa bouche même, le récit suivant :
En 1915, le jour de la Fête-Dieu, l’Évêque de Mardine, Mgr. Maloyan, fut arrêté. Le jour de la fête de la transfiguration (6 août) de la même année, je fus arrêté avec 360 personnes, tous Arméniens catholiques. On nous emmena en nous disant que Diarbékir était en feu et qu’il fallait que nous y allions pour éteindre l’incendie. On nous lia quatre à quatre et l’on nous conduisit à la citerne Moussa. Il y avait là quatre bouchers chargés de nous abattre et de nous jeter dans la citerne. On me donna un coup de poignard et des coups de bâton, mais je me jetai dans la citerne avant de recevoir le coup de grâce. J’ai eu l’épaule et le bras brisés. J’y ai vécu 40 jours. Au début, je mangeais des oiseaux qui avaient leurs nids dans la citerne, cependant quand l’odeur de la citerne devint intolérable à cause des cadavres, ces oiseaux s’enfuirent. Alors je me mis à sucer le sang des cadavres. Puis je trouvai un peu d’eau dans un fossé et j’en bus. Je fus enfin délivré par une personne nommée Hadj Khalil Boum à laquelle j’avais rendu des services lorsqu’il était en prison ; quand il apprit que j’étais là, il se rendit auprès du Cheikh et on obtint pour moi la grâce de vivre ; il me retira de la citerne et m’emmena chez lui.
Je n’étais pas dans le convoi de Mgr. Maloyan ; toutefois, devenu berger, après ma libération, je me suis rendu sur les lieux des massacres et j’y ai rencontré une femme nommée Nazira Lolé Mekho, mariée à un musulman et habitant près de l’endroit où Mgr. Maloyan avait distribué la communion à ses compagnons.
Elle me raconta qu’elle avait vu de ses propres yeux une lumière éclatante descendre au moment de la communion sur le lieu même. D’ailleurs tous les Officiers qui avaient accompagné le convoi racontaient ce fait et le sergent Nouri, chef du convoi, l’a certifié.
À ce propos, je me souviens que, neuf mois après la mort de Mgr. Maloyan au moment d’une forte tempête, un rocher s’était détaché des montagnes de Mardine et s’était abattu sur la maison du sergent Nouri, tuant tous les habitants à l’exception d’une femme arménienne qu’il avait choisie dans le convoi pour l’épouser. Cette nuit-là, elle avait accompagné sa fille aux w.c. quelques minutes avant le désastre. C’est à ce moment que s’abattit le rocher.
Voilà tout ce que je sais à ce sujet et mon attestation est véridique.
Beyrouth, le 19 janvier 1950
d- Femmes Arméniennes Martyrs
Les femmes arméniennes catholiques de Mardine, à l’instar de leurs maris et enfants, se signalèrent par leur endurance héroïque dans les supplices les plus inhumains, par leur courage persévérant pour garder jusqu’à la mort leur foi et leur honneur intacts. Leur attitude de dignes chrétiennes a étonné les ennemis même, qui se sont permis de se livrer à des abus les plus ignobles à leur égard et à l’égard de leurs enfants, tués, mis en morceaux, le plus souvent sous leurs yeux. Ces monstres à face humaine, après avoir assouvi leur cruauté sur ces innocents victimes, ne se sont pas contentés de piller et d’enlever tous les bijoux et l’argent que ses nobles dames pouvaient posséder, mais ils les ont dépouillées de tous leurs habits et avant de les tuer, les ont soumises à des traitements les plus navrants et les plus ignobles et, ne réussissant pas à satisfaire leurs passions bestiales sur les vivantes, ils ont déshonoré même leurs cadavres. Nous nous contenterons, écrit l’abbé Ahmaranian, de mentionner ce que nous avons recueilli de la bouche de témoins oculaires et dignes de confiance.
• Pendant la nuit du jeudi 15 juillet, des soldats se sont précipités sur les domiciles des plus riches de la ville. La première maison d’habitation qui fut assiégée par eux fut celle de la famille Djinandji, sise près de l’église Syrienne catholique. Ils ont avisé Mme Ohammé, épouse de Naoum Djinandji de se préparer à partir, en compagnie de ses filles. Tous les membres de la famille, émus de cette triste obligation, se sont agenouillés à terre priant et implorant le secours et l’assistance de Dieu. Mgr. Gibraïl Tappouni, Archevêque des Syriens catholiques, les ayant aperçus par la fenêtre, les a bénis et les a exhortés à persévérer dans leur sainte lutte jusqu’à la mort.
• Les ennemis se sont transportés de la maison de la famille Djinandji au domicile de la famille Chalemé et à celui de la famille de Boghos. Mais leur étonnement fut grand lorsqu’ils virent les femmes, les garçons et les filles habillée en blanc, portant des bougies allumées, descendre l’escalier comme s’ils se rendaient à une noce ou bien à une cérémonie d’église. C’était le convoi des vierges sages qui s’acheminaient à la rencontre de l’époux céleste.
• Ensuite ils se sont dirigés vers la maison de la famille Kaspo et ils en ont fait sortir tous les membres sans exception. Ils ont ainsi parcouru toutes les maisons des riches arméniens, ils en ont arrêté tous les occupants, grands et petits, ils en ont scellé les portes pour y revenir après et s’emparer du butin, à savoir biens, meubles, effets, tapis etc. et les distribuer aux magistrats, officiers et chefs de service.
• Le vendredi matin 16 juillet, les femmes portant leurs nourrissons et entourées de leurs petits enfants, ont été conduites à Tell Armen et le lendemain, quittant ce village chrétien, le convoi est dirigé vers le village d’Abduliman, situé dans une gorge où coule le fleuve El zarkan. Dans ce convoi composé de femmes et d’enfants se trouvaient Boutros Djinandji, Choukri Kaspo, Fethallah Challemé, Boulos Makhoulé, Boghos et le fils de Naoum Djinandji, et le père Ohannès Boutourian. Le massacre de tous ces fidèles a eu lieu dans le susdit village. Les femmes dépouillées de leurs habits furent transportées à tour de rôle dans des charrettes, vers le ravin où elles devaient être tuées, fusillées, brûlées. Quant aux kurdes, ils ravissaient les nourrissons et les enfants du sein de leurs mères.
• Parmi les femmes héroïques, nous citerons Mme Rosa, épouse de Chafik Adam. Cette femme intrépide criait aux bourreaux : « Pourquoi permettez-vous aux kurdes de ravir nos nourrissons ? Protégez-nous ou bien massacrez-nous afin de nous sauver de vous et de ceux-là ».
• Cheikh Taher el-Ansari avait voulu violer l’épouse de Fathallah Challemé. Elle l’a repoussé avec indignation et pour cela elle fut tuée sur place par ce monstre.
• Le 17 juin 1915, des caravanes de jeunes femmes en chemises étaient déportées par petits groupes vers la Syrie et les frontières du Hijaz, à Toufaylé et ailleurs, où elles furent fusillées.
• Les 26 et 31 juillet étaient réservés aux convois des vieilles femmes et des nourrissons, dirigés vers Chaddadé ; parmi ces déportés se trouvaient les familles Babikian, Garabedian et Hantcho qui furent massacrées et jetées dans les puits de Twa.
C’est ainsi que Mardine fut vidée des Arméniens : il n’en resta qu’un tout petit nombre, échappé par hasard aux poursuites. Un bon nombre se réfugia sur le mont Sinjar où le chef de la tribu, Hammo Chero, les accueillait avec bienveillance ; grâce à ses soins, ces épaves Mardiniotes ont pu échapper aux massacres et rentrer en leur ville natale après l’armistice.