Ibrahim
Kaspo (SOC Collectanea, No. 29-30, 1998, p. 58)
Ibrahim Kaspo est un Arménien catholique de Mardine. Né en 1899, il avait à peine 16 ans au moment du massacre. Son père et ses deux frères aînés, Elias (26 ans) et Mansour (24 ans) furent arrêtés et exécutés dans le convoi du P. Léonard, le 11 juin 1915.
Etant donné son jeune âge, Ibrahim ne fut pas arrêté mais déporté avec sa mère, son frère Abd-el-Karim et ses deux sœurs Marie et Zakiya vers Alep où il passa le reste de sa vie.
Couturier de qualité, il fonda avec ses compatriotes déportés la « Congrégation de S. Georges » pour l’aide aux déportés de Mardine. Marié à Marie Nazar, arménienne catholique, il eut quatre fils et deux filles. Il rédigea ses mémoires en arabe, en deux récits distincts : – Le premier, intitulé « Ce que vous ne connaissez pas d’Alep : le Séfér Birlik », est un bref récit sur la faim, les épidémies, la mort et la terreur qui régnaient à Alep et au Moyen Orient durant la Première Guerre Mondiale. – Le deuxième, intitulé « Mardine telle que je la connus » contient un bref historique de Mardine, une description de la ville et les massacres qui y ont eu lieu, pour terminer par les péripéties de sa déportation vers Alep, avec sa mère et ses deux frères, en juillet-août 1915. Vu que ce récit comporte des détails uniques sur l’arrestation de Mgr. Maloyan et des tortures subites en prison et, par le fait même, sur les supplices du P. Léonard, nous le reproduisons ci-dessous, in-extenso. 1
« Mardine telle que je la connus »
1. Mardine est une ville très ancienne, située au nord de la « Jazira » [Mésopotamie], sur le sommet d’une haute montagne. Ses maisons sont disposées en degrés, l’une au dessus de l’autre. Au sommet de la montagne se trouve une citadelle naturelle imprenable. Même Tamerlan en son temps trouva des difficultés à s’en emparer. L’air y est pur, l’été modéré, l’hiver froid. Le sud de la ville donne sur Tell-Kaukab où l’on peut voir, au printemps, une mer immense de verdure et, vers le nord, un océan de jardins florissants, avec leurs fruits exquis et délicieux, à bon marché et abondants, dépassant le besoin des habitants. On y trouve des pruniers, des poiriers, des cerisiers, des grenadiers, du mahlab et des térébinthes, ainsi qu’un grand nombre de vignes et de potagers. Dans la contrée, on plante aussi un tabac renommé.
2. Mardine a connu la domination des Perses, des Byzantins, des Kurdes, des Arméniens et des Arabes, pour finire sous celle de l’Empire ottoman. Le nombre de ses habitants était, avant la première guerre mondiale, près de cinquante mille âmes, dont presque la moitié chrétiens, de langue arabe, avec quelques mots d’arabe classique, mais pour être plus exact, il s’agit d’une langue qui est un mélange d’arabe, de kurde, de syriaque, d’arménien et de turc.
3. Mardine était le Siège Patriarcal des Syriaques Orthodoxes et Catholiques. On y trouve de nombreuses églises, anciennes et modernes, telles que l’église S. Georges des Arméniens catholiques, l’église de Ste. Chemouné, à l’est de la ville, à l’endroit connu sous le nom de « Quartier solaire » [les “solaires” étaient des gens qui adoraient le soleil. Ils embrassèrent le christianisme en rite syriaque et gardèrent leur cohésion pendant un certain temps]. Il s’y trouve aussi les Monastères de S. Michel, au sud, et Ezzafarane, Siège Patriarcal des Syriaques [orthodoxes], à l’est.
4. Outre le Monastère de S. Ephrem, se dressaient plusieurs églises, telles que l’église de S. Jean et l’église de Ste. Barbara. Les Capucins aussi y ont une église, les Protestants un temple et les Chaldéens une église très ancienne. Quant aux mosquées, les plus renommées sont : la « Grande Mosquée », connue par son haut minaret, la « Mosquée Al-Latîf », la « Mosquée du Martyr », qui était une église appartenant aux Syriaques et à laquelle on ajouta un minaret qui constitua pour les maçons, les tailleurs de pierres et les ouvriers qui apostasiaient, un moyen pour échapper aux massacres, durant les guerres.
5. Les habitants travaillaient dans le commerce et l’industrie. La majorité des familles riches avaient, à Alep, un des leurs à qui elles envoyaient le ghee, la laine, le cuir, les amandes, les fruits de Thuya, etc., et lui, à son tour, leur envoyait les marchandises souhaitées.
6. Mais la première guerre mondiale fut une catastrophe pour Mardine, car nombre de ces familles renommées furent déportées et dispersées. Et après ladite guerre, beaucoup l’abandonnèrent pour s’établir dans des demeures nouvelles dans la Jazira alors désertique, où ils édifièrent des villes, instaurèrent des plantations, transformant l’aridité du désert en prospérité. Plusieurs d’entre eux s’établirent à Alep et dans les autres villes syriennes. Ils y pratiquèrent des activités de toute sorte : avocats, médecins, ingénieurs, ainsi que les arts manuels et le commerce. Beaucoup d’entre eux s’y distinguèrent. Ce sont des gens intelligents et pieux. Ils ont grandi et se sont multipliés, se mêlant à la population syrienne. Beaucoup d’entre eux ne connaissent pas Mardine et n’ont aucune idée de la ville. Des spécialités de Mardine, telles que les boulettes et le gruau mardiniens, sont devenues très répandus et connus à Alep.
Mardine et la Déportation des Arméniens
7. L’Empire ottoman, à cause de son extension, était divisé en plusieurs Provinces, suivant la race de ses habitants, leur nationalité, leur religion, etc. Les six Provinces turques — Erzéroum, Van, Bitlis, Diarbakr, Kharpout et Siwas — étaient alors habitées par des populations dont un peu plus de la moitié étaient des arméniens et les autres des kurdes. Les kurdes professaient la religion de l’État auquel ils appartenaient. Ils se considéraient souverains et maîtres de ces régions par le simple fait de cette appartenance. Les arméniens, eux, devaient être soumis à leurs leaders, obéir aveuglement et verser — à part les taxes que le gouvernement légitime imposait à ce malheureux peuple — des cotisations pécuniaires et matérielles sous les dénominations et par les moyens les plus variés. De sorte que pour se soustraire à cette triste condition, ils se trouvaient sollicités — et parfois obligés — à apostasier. Les chefs spirituels protestaient auprès du Sultan contre ce traitement injuste subi par leurs ouailles, mais ils n’obtenaient que des promesses dont aucune n’était exécutée.
8. Grand nombre de jeunes arméniens, pour échapper à cette injustice et à ces vexations, quittèrent leur pays pour se réfugier dans des pays d’Europe. De là, ils se mirent à demander équité et justice à l’égard de ce peuple frustré, qui pourtant constituait un élément excellent et producteur pour l’Empire ottoman, grâce à son habileté dans les industries, les métiers, les sciences et les arts, contrairement à leurs concitoyens kurdes, analphabètes, vivant de vol et de pillage.
9. Toute demande de réforme, de la part des leaders arméniens, se répercutait contre eux en vagues de massacres, d’incendies de leurs villages et séquestres de leurs possessions. Le gouvernement reconnaissait l’existence de ces méfaits et envoyait des détachements militaires, apparemment pour apaiser, en réalité pour provoquer. La dictature du Sultan Abd-oul-Hamid, connu sous le nom de « Sultan Rouge », ne fit qu’exaspérer leur malheur, bien qu’il fût très au courant de leur fidélité à la patrie et au Sultan. Car nombre d’entre eux, vue leur qualité de gens cultivés et habiles, avaient en charge l’administration de ses biens privés, en sus de la gestion des affaires communes du Sultanat.
10. La plume se trouve impuissante à décrire les persécutions, les massacres et la dispersion de ce peuple, jusqu’à la signature de la convention de Berlin, où l’on inséra un article spécial concernant le respect des droits de ce peuple et son traitement d’une façon juste et humaine. Lorsque la constitution ottomane fut promulguée, elle fut accueillie avec joie et avec la plus belle espérance. Des représentants de la nation furent élus, dont quelques uns étaient arméniens. Ceux-ci eurent des gestes patriotiques et loyaux envers leur Sultan et leur patrie : Manouk Effendi, Envoyé d’Alep, avec ses gestes patriotiques à l’Assemblée des Envoyés, et nombre d’autres dont les déclarations étaient accueillies, d’après le témoignage des historiens turcs, par des applaudissements éclatants.
11. Cependant la justice et l’exécution des réformes souhaitées étaient renvoyées d’un jour à l’autre. Et lorsqu’éclata la guerre mondiale avec ses fléaux, un grand nombre de jeunes arméniens furent enrôlés dans le service militaire. Quand la guerre contre la Russie fut déclarée et que l’armée turque recula à des centaines de kilomètres à l’intérieur des ses territoires, le gouvernement ottoman voulut se venger de cette défaite en la faisant porter aux Arméniens demeurant dans ces contrées, sous le prétexte de leur complicité avec l’ennemi dans leurs territoires.
12. Cela, à l’égard de ceux qui étaient au nord. Mais quelle était la faute des contrées loin des frontières ? Le vrai objectif était l’annihilation de ce peuple pour s’emparer de toutes ses possessions, car ni les promesses ni les conventions n’avaient plus désormais aucune valeur. On commença effectivement à mettre à exécution ce plan infernal dans tout l’empire, de long en large, en soumettant les Arméniens aux pires atrocités, pour les égorger enfin, sans que nul n’échappe, sauf ceux qui reniaient leur foi. L’affection et l’amitié qui régnaient entre nombre d’Arméniens et turcs furent ignorées, car la majorité des Turcs étaient débiteurs des Arméniens. Se débarrasser de ces dettes était beaucoup plus important que l’amitié et « le pain et le sel » comme l’on dit.
13. Il nous faudrait plusieurs volumes pour décrire les sauvageries commises. Aucune torture n’a été omise. Toutes ont été appliquées de la pire façon contre ce peuple qui n’a jamais prétendu s’allier à une autre nation. Il soutenait, au contraire, le Sultan et le gouvernement, comme je l’ai déjà mentionné. Il demandait seulement justice et affranchissement de l’oppression de Abd-el-Hamid, à l’instar des Turcs libres.
14. Je fais partie de ceux qui ont enduré les tortures, les déportations et les massacres de parents et proches, avec mon père, mes frères, mes oncles et d’autres encore… pour le simple fait d’appartenir à la communauté Arménienne catholique de Mardine. J’ai ainsi estimé bon de rédiger ce que j’ai vécu et ce qui s’est passé à Mardine, cette ville paisible. Le voici :
15. À Mardine, lorsque le gouvernement ottoman déclara le « Seferberlik », conformément aux accords stipulés avec ses alliés l’Allemagne et l’Autriche, toutes les communautés chrétiennes, avec leurs concitoyens turcs, participèrent à ce qu’on appelait les « frais de guerre », ainsi qu’aux contributions aux départements militaires. Ces frais étaient distribués entre les communautés d’après leur nombre et perçus par les maires et par d’autres commissions formées à cette fin. Les sujets engagés par le service militaire gagnèrent leurs détachements, ou bien versèrent la prime de non enrolement. Tous accomplirent fidèlement leurs devoirs, en contribuant au service de la patrie.
16. Quelques mois après la déclaration de « Seferberlik », des rumeurs commencèrent à circuler, selon lesquelles les Arméniens tuaient les Turcs et se ralliaient aux Russes. On faisait mille et une conjectures, à l’issue de ces rumeurs préfabriquées. Les craintes se montrèrent fondées lorsque le gouvernement ordonna de ramasser les armes des chrétiens et confia aux soldats chrétiens des travaux non militaires, tels que le transport et autres. Chaque jour on entendait des nouvelles inventées par le Comité de l’Union et ses agents, comme Talaat et Anwar. Ce furent des jours tristes et noirs pour les Arméniens de Mardine. La conclusion fut la déportation, l’éloignement et l’anéantissement des Arméniens, jusqu’à ce qu’arrivât le jour où ces mesures furent appliquées contre les Arméniens de Mardine.
17. Une fois que les chrétiens eurent livré les armes qu’ils possédaient —c’était des fusils de chasse et quelques escopettes d’ancienne marque— on commença à perquisitionner les églises et les maisons de façon incessante et minutieuse. Ils essayèrent en vain de trouver des armes dont les chrétiens estimaient la possession inutile. On commença à faire des fouilles dans les églises et à profaner les sépultures. Ils prétendaient que dans l’église S. Georges se trouvaient canons et armes diverses. Lorsqu’ils entraient dans une maison, ils battaient les femmes et les enfants, en les menaçant de mort s’ils ne leur livraient pas les armes. Une fois désespérés de l’affaire, n’ayant rien trouvé, ils procédèrent au véritable terrible massacre. Et voici le prélude de ces procédures qui donnent le frisson.
18. Le 3 juin 1915 fut un jour funeste pour les chrétiens de Mardine. Il coïncida avec le Jeudi Saint. 2 Dans la matinée, on célébra cette fête en toute tranquillité, les cœurs brisés à cause de ces vexations. On avait déjà appris le rassemblement et la déportation des Arméniens de Diarbakr à Mossoul, le long du Tigre, sous escorte stricte des gardes. En réalité, ils furent tués, ils furent anéantis, jusqu’au dernier.
19. La première partie de ce jour-là passe. La ville est tranquille et paisible. Sur les visages on remarque les signes de tristesse et d’angoisse. Tous pensent à leurs enfants avec cette guerre qui ne veut pas finir. Mais à peine sonné huit heures du soir, voilà qu’arrive à Mardine l’ange de la mort, caché dans le corps de Mamdouh Bey, commandant en chef de la police.
20. Nous avions invité, ce jour-là, à dîner, de hauts fonctionnaires du gouvernement local. On était à table, et voici que l’un d’eux, nommé Nagîb Effendi Amîn el-Dine Effendi Zadah, un homme au cœur satanique, au dire de tous ceux qui le reconnaissaient comme tel à première vue, déclare : « Mamdouh Bey est arrivé de Diarbakr, il s’est dirigé directement au gouvernorat. Qu’est ce que cela veut dire » ? Je veux dire que si ce ne fut pas un lapsus, commis par inadvertance, il en résulte que le susdit était bien au courant de l’arrivée de Mamdouh Bey, avant même que ce dernier ne quittât Diarbakr, et qu’il devait l’aider dans la besogne à accomplir contre ceux qui l’avaient invité à leur table.
21. Ayant mangé et bu, ils s’en allèrent. Ils s’étaient habitués à être accueillis souvent chez nous, et nous chez eux ; mais ce jour-là notre famille les accueillit pour la dernière fois, réunie autour d’une seule table. Une fois partis, mon frère aîné sortit pour les accompagner jusqu’à la rue. Mais il revint avec un visage tout triste de ce qu’il avait vu dans la rue : Mgr. Ignace Maloyan, Archevêque des Arméniens catholiques de Mardine, était encerclé par un grand nombre de gendarmes et de policiers. L’on savait bien que l’évêque ne se rendait au sérail qu’à cheval. Pourquoi donc y aller de cette façon-là ? Un frisson parcourut toute la ville à ce geste inattendu. Mais voici ce qui s’est passé : Un gendarme se rend à l’Évêché pour avertir S. E. l’Évêque que le gouverneur veut le voir. Il répond au gendarme : « Je viens ». Mais le gendarme refuse et veut absolument l’accompagner. Il demande qu’on lui apprête le cheval qu’il montait pour ses sorties. Mais le gendarme l’en empêche : « Vous m’accompagnerez à pieds ».
22. Le martyr, le héros, se lève, avec espoir de retour. Mais… ma plume résiste à écrire ces mots ! Mais à quoi bon ! On l’invitait non pas pour retourner mais pour s’approcher de sa fin, contempler son Créateur, mourir et offrir son sang pour rendre témoignage à la foi chrétienne dans laquelle il était né et par laquelle il allait gagner la vie éternelle.
23. Il fait quelques pas, tout en ignorant la raison d’une telle citation sans précédent, un tel jour de fête. Tous les chrétiens qui le rencontraient s’étonnaient de pareil cortège. Ils ne savaient pas, ces gens qui s’étonnaient, que le lendemain ils devraient être conduits eux aussi pour accompagner ce bon Pasteur. Il arrive enfin au gouvernorat. On l’enferme dans une cellule de la prison avec prohibition de rencontrer qui que ce soit.
24. La police et les soldats de la milice, enrôlés pour mettre en exécution l’horrible massacre, se répandent dans la ville. Ils se mettent à arrêter seulement les notables de la communauté Arménienne catholique. Entrés insolemment dans les maisons, ils arrêtèrent ce jour-là une cinquantaine de personnes. Le soir, ils firent avertir leurs proches d’avoir à leur apporter lit et nourriture, parce qu’ils devaient demeurer en prison.
Vendredi, 4 juin 1915
25. Les chrétiens passèrent la nuit dans l’angoisse. Nul ne connaissait le sort qui attendait les personnes arrêtées. L’on était profondément pessimistes, sauf quelques ingénus qui avaient encore confiance dans la justice et l’amitié. L’on était surtout conscient du fait que personne ne s’était opposé aux autorités ou ne leur avait fait tort. Au contraire, tous étaient des citoyens loyaux, soucieux seulement d’accomplir leurs devoirs et d’être fidèles à leur patrie. Entre temps, Mamdouh et ses acolytes préparaient leur plan pour le jour suivant.
26. On donna l’ordre d’arrêter tous ceux qu’on rencontrait dans la rue. Mes deux frères, Mansour et Elias, furent arrêtés ce jour-là. Mon père resta à la maison, car c’était officiellement jour de vacance. Nous voilà au Samedi. Mon père était obligé de se rendre au gouvernorat pour plaider les causes, d’autant plus qu’il s’agissait des causes du trésor public dont il était l’avocat mandataire. Après avoir consulté un ami turc, il décida d’aller accomplir son devoir. Le soir même nous étions devenus une famille composée d’une veuve et d’orphelins. On continua à rassembler chaque jour des jeunes gens, des hommes et des prêtres, pour les ajouter aux autres. On les accueillait avec des coups de poing, de bastonnades, on leur arrachait la barbe et leur faisait subir toute sorte de tortures. À quelques-uns on proposa l’apostasie pour échapper à tout cela, mais aucun n’accepta.
27. Les personnes arrêtées atteignirent le nombre d’environ 500. La plupart furent enfermés dans la caserne, trop étroite pour pouvoir accueillir un si grand nombre.
On avait arrêté quelques individus de la communauté Syriaque Jacobite. Mais finalement on les remit tous en liberté. Quelques uns de cette communauté collaborèrent avec les bourreaux.
28. Quelques amis nous suggérèrent de présenter aux autorités une demande pour la libération de mon père et de mes frères, vu notre amitié, notre obéissance, nos services et notre loyauté envers elles. Je me rendis chez l’un de nos amis qui me rédigea une demande que je présentai moi-même aux autorités. Ils me promirent leurs recommandations personnelles pour que ma demande fût tenue en juste considération. Mais je pouvais bien espérer ! Ils nous étaient débiteurs de sommes d’argent, pour ce temps-là, non négligeables ; le moment était venu de se débarrasser de ces dettes. La réponse finale fut : inutile d’essayer ! Enfin les autorités déclarèrent leur décision de transférer les reclus à Diarbakr. À peine diffusée la nouvelle de cette décision, les femmes et les enfants accourent vers l’endroit où les prisonniers étaient enfermés, dans l’espoir de les rencontrer en vie pour la dernière fois. Où est-elle la plume, capable d’observer et de décrire ce spectacle déchirant ?! Les femmes se jetant dans les rues et les forces de sécurité se lançant contre elles avec des coups et des insultes. Comment le décrire ? J’en suis impuissant en ces notes. Enfants et femmes rentrent chez eux. Silence et ténèbres se répandent.
29. À peine l’aurore, on sort les prisonniers, on les lie et les conduit, à pied, sur la voie publique. Gare à qui élève la voix ! Certainement pas moi qui, debout, observais ces martyrs, avec l’espoir d’en reconnaître quelques-uns : mon père, mon frère, ou autres. Ils passèrent devant nous, tel un troupeau d’agneaux. Heureux qui sait s’exprimer ou écrire, mieux qu’avec ces pauvres mots !
30. Ils quittèrent la ville. Mais vers où ? D’après la déclaration officielle, vers Diarbakr, dont Mardine était un Sandjak. Elle se trouvait à distance de deux jours entiers. Mais ce troupeau a-t-il jamais gagné Diarbakr ? Point du tout. Au contraire, après une marche de trois heures de Mardine, on les introduit dans une des grottes, fréquentes en ces endroits-là, et on commence à les séparer, dizaine après dizaine et à les livrer aux kurdes, habitants ces contrées, avec instruction sur la façon dont ils devaient les torturer, tuer et anéantir. La besogne fut accomplie comme il fallait. Pas un seul ne fut sauvé. Des kurdes rapportèrent la chose à des chrétiens après quelques mois. Ils connurent la mort et le martyre pour leur foi chrétienne.
31. Les bourreaux, de retour, affirmèrent les avoir emmenés à Diarbakr. De plus, ils se répandirent parmi les familles de ces martyrs, prétendant chacun avoir prêté et payé à tel mari telle somme. Un de ces démons, du nom de Bashîr Roda, affirmait : « J’ai donné à M. Na’ûm Effendi —mon père— cinq livres. Voilà la clé de sa caisse ». La clé était la même. Mais qui sait de quelle façon avait-il pu l’avoir ! Probablement étaient-ce ces mains-là qui avaient torturé et égorgé mon père et mes frères et pris l’argent, les bagues, les montres et autres choses qu’ils portaient. Hélas ! Nous répondîmes : nous n’avons pas d’argent à payer. Il répliqua : « Je porterai plainte à Diarbakr ». Ils se rendirent chez plusieurs avec le même discours. Il y eut de ceux qui payèrent et de ceux qui refusèrent.
32. Un ou deux jours passent tranquillement. Entre temps on répand le bruit : « Le Sultan Mohammad V Rachad était malade et il est guéri. Il a pardonné à tous les Arméniens. Souhaitez-lui la victoire. Les Arméniens doivent donc ouvrir leurs magasins et retourner au travail ». Quelques uns prêtèrent foi à cette rumeur et regagnèrent leurs postes de travail. Mais avant même de s’y établir, les voilà arrêtés et jetés en prison. Cette fois-ci on commença à arrêter n’importe quel Arménien, riche ou pauvre, non pas comme la première fois où l’on arrêtait seulement les notables. [Les chrétiens de Mardine étaient divisés en deux communautés : Arméniens et Syriaques. La communauté Arménienne était la plus grande des communautés catholiques, c’est pourquoi tout catholique, était appelé Arménien. Par Syriaques, on entendait les Jacobites]. Cette fois-ci on tortura les prisonniers avec des broches chauffées, à part la bastonnade et l’arrachement des ongles et de la barbe.
33. Une foisatteint le nombre de 500, on les conduisit comme les précédents, enchaînés avec des cordes et des chaînes de fer. Mais on leur réserva un traitement différent des premiers. À mi-chemin, ils furent séparés en deux parties. Les premiers, dont la majorité appartenait à la communauté Arménienne, provenant du village de Tell-Armen, furent égorgés. Les autres furent gardés dans une grotte jusqu’au jour suivant. Vous pouvez bien vous imaginer comment ces martyrs passèrent cette nuit-là ! Le matin, arriva un officier de Diarbakr. On lui confia les survivants qu’il accompagna jusqu’à Diarbakr. Après les avoir logés dans un khan durant trois jours, on les ramena à Mardine. Deux jours après leur retour, les Syriaques catholiques et les Chaldéens furent laissés libres, pour retenir seulement les Arméniens.
34. De cette façon, nul Arménien n’osait plus se montrer dans la rue. L’on commença à pénétrer dans les maisons et à arrêter les hommes et les jeunes gens, en traitant les femmes et les filles vierges d’une manière inconnue aux plus cruels des barbares. Aucun honneur fut respecté, tous les meubles furent pillés. 500 hommes environ furent ainsi rassemblés et conduits sur la route, à l’est de la ville. Personne ne s’aperçut de leur sortie, car les chrétiens demeuraient à l’ouest de la ville. Ils furent conduits au village de Dara. Là, il y avait un grand puits. Ce fut leur tombeau après des tortures. Un jeune homme robuste se jeta dans le puits avant d’être tué. Le massacre terminé, il sortit du puits et disparut dans le désert. Il s’appelait Elias Nazar . Après une longue vie, il mourut à Beyrouth.
35. Les bourreaux avaient ordre de supprimer les quelques Arméniens restés en vie : des vieillards, des pauvres et même des adolescents. Moi, par crainte, je gardai la maison plusieurs jours durant. J’attendais mon tour, pour lequel une autre procédure était réservée. Il y avait encore près de deux mille personnes. C’était tout ce qui restait de cette malheureuse communauté.
Le tour des femmes et des enfants
36. Cela se passait dans la ville de Mardine. Quant aux villages voisins et lointains, les tribus kurdes et arabes achevaient la besogne comme il faut, en massacrant les hommes, pillant les maisons et capturant les femmes. C’est ce que, d’après leur croyance, méritaient les impies, à savoir les chrétiens. Nous voyions les villages brûler. Un des villages les plus près de Mardine, est Al-Mansouriya, distant une demi-heure à pied environ. Les habitants de ce village étaient à peu près tous des Syriaques Jacobites. Après que les hommes eussent été massacrés et les maisons brûlées, un groupe de femmes s’étant rassemblé, se dirigea vers le gouvernement en dansant et s’exclamant : « Que Dieu fasse triompher le Sultan, que Dieu fasse triompher le Sultan » ! Mais à peine s’approchèrent-elles du gouvernorat que les soldats de la milice les accueillirent avec des bâtons et des coups, de sorte qu’elles prirent toutes la fuite en disant dans leurs cœurs : « À Dieu seul les plaintes » ! Cela se passait dans les villages.
37. À Mardine, ayant achevé la besogne en massacrant les hommes, vint le tour des femmes et des enfants. C’était vers la fin de juin. On commença cette opération avec les familles des notables arméniens, telles que les Djinandji, Kaspo , Boghos, Challemé, Adam, Tcharma, Kindir, ainsi que la famille d’Ignace Maloyan et Sarké. Il y était resté une dizaine d’hommes qui avaient pu échapper aux premiers massacres, tels que Choukri Kaspo , cousin de mon père. Il dût cette liberté provisoire à des milliers de livres or. Le R. P. Ohannès Sarké, Vicaire épiscopal des Arméniens de Mardine, était avec eux. Il avait plus de quatre-vingts ans. L’ensemble de ces familles comptait soixante-dix personnes environ. On leur intima de se préparer au départ le lendemain, pour aller retrouver leurs maris. On mit des gardes à leurs portes et leur intima de ne pas emporter de provisions de route pour plus de trois jours.
38. Le lendemain matin, l’on apprêta des chars de transport et on les y chargea. Ils étaient libres d’emporter avec eux bijoux, argent et les effets qu’ils voulaient. Après avoir relu leurs noms, ils se mirent en marche vers l’est, au milieu des soldats de la milice, jusqu’au village appelé Abd-el-Imâm. Là on les arrêta. Mamdouh Bey leur demanda de lui livrer tout l’argent, les bijoux et les objets précieux qu’ils possédaient. Ayant tout ramassé, il livra les hommes à ses acolytes. « Ils s’étaient à peine éloignés que nous entendîmes le crépitement des coups de feu partant dans leur direction. Après quelques instants, nous nous trouvâmes encerclés de bédouins et de kurdes. Les coups sont maintenant en notre direction. Ils prirent les vêtements qui nous restaient en nous laissant complètement nus. Ensuite ils se lancèrent contre nous comme des bêtes féroces. Vous pouvez vous imaginer le sort des femmes et de leur pudeur ! Celle qui opposa de la résistance au viol de son vivant, on la viola morte ». 3
39. Cher ami. Tu ne croiras pas, probablement, qu’un homme puisse commettre de pareils méfaits. Mais tu dois le croire. Il y a pire. Ils n’avaient aucune pitié, ils ne connaissaient ni sentiment ni morale. Loin d’eux toute morale, toute conscience ! Ils capturèrent des filles et des enfants et les gardèrent chez eux jusqu’à ce que leurs parents puissent les racheter, avec des sommes considérables. Ce sont ces derniers qui nous informèrent du sort qui les avait attendu eux et les leurs, en ce massacre-là. Mamdouh rentra à Mardine affirmant qu’ils étaient arrivés à Ras-el-Ayn, d’où ils se rendraient à Alep, chez leurs maris. Il a bien dit. Il les emmenait chez leurs maris égorgés. Des égorgés qui vont à la rencontre d’autres égorgés !
40. Cinq jours après ils revinrent à la charge. Ils donnèrent l’ordre à quelques familles, parmi lesquelles la nôtre, de se préparer au départ. Il y avait aussi deux familles de Syriens catholiques : Maamarbachi et Dokmâk. On nous donna un délai de 24 heures pour nous préparer : ma mère, mon frère Abd-el-Karim et moi. Mamdouh Bey venu, il enregistra nos noms et nous fit donner des ânes pour la marche et la charge. Nous emportâmes quelques effets et nous nous mîmes en marche vers la direction ouest de la ville, via ‘Uqba. Une fois sortis de la ville, Mamdouh Bey demanda à tous de lui livrer les bijoux et l’argent qu’ils possédaient. Certains avaient caché quelques sommes. Il prit son butin et la marche continua. Avant de quitter la maison, le policier chargé d’enregistrer nos noms avait pris tout ce qu’il voulait selon son bon plaisir.
41. En marchant dans la rue de ‘Uqba, nous aperçûmes les premiers résidus d’un homme brûlé. Mais il avait les mains entières. Imaginez-vous l’effet de ce spectacle sur les femmes et les enfants ! Ce devait être la seconde moitié de juillet. Je ne me souviens pas de la date exacte. Les ânes que nous avions reçus étaient émaciés, incapables de supporter la charge. On parcourait le chemin avec nos provisions de route. Une fois en campagne, que voyons-nous ? Des gens sur le point de mourir, d’autres à peine expirés ; d’un côté des monceaux d’os, des restes de pieds et de mains non brûlés. C’étaient des témoins éloquents devant la justice, contre les barbaries commises.
42. La chaleur était suffocante —on était en juillet— la terre désertique, sans trace de plantes ou de verdures. Le soir venu, nous passons la nuit à la belle étoile, au clair de lune. Nous nous levons de bon matin et poursuivons la route vers Ras-el-Ayn. Aux premières lueurs de l’aube, nous commençons à apercevoir des cadavres sur le chemin. La puanteur augmentait au fur et à mesure que la température montait. Elle provenait des puits pleins de cadavres de gens massacrés.
43. À midi, nous voyons au loin des cavaliers avancer vers nous. Saykhûs [nom inconnu] était le chef de ce convoi. C’était un lieutenant. Un des soldats qui nous accompagnaient nous apprend qu’il est venu nous protéger. Lorsque la cavalerie avance vers nous, nous commençons à prier, à réciter l’acte de contrition et à nous préparer à la mort pour rejoindre les quantités de cadavres qui nous entouraient. Mais le chef ordonne de sonner la trompette et les soldats nous encerclent. On avançait dans ces steppes brûlantes et voilà que le groupe de la cavalerie nous quitte pour se diriger ailleurs. Alors nous sentons que nous sommes sauvés. Mais la faim et la soif nous accablaient. Elles étaient si aigües que des soldats s’en évanouirent. Nous marchâmes ainsi jusqu’à un endroit appelé « Djardjab » où il y avait de l’eau. Ce Djardjab est une rivière courante l’hiver et sèche l’été. Il y reste ça et là, aux points les plus profonds, un peu d’eau, durant un certain temps, mais une eau dégoûtante, de couleur brune et puante, avec des saletés en surface. Nous nous jetâmes sur cette eau et bûmes avec goût et voracité. C’était comme si je n’avais jamais bu de ma vie une eau plus délicieuse !
44. C’était vers l’après-midi. Après une brève détente, nous poursuivons la marche vers Ras-el-Ayn. Le soir venu, nous recevons encore l’ordre de passer la nuit à la belle étoile, jusqu’à l’aube. Ensuite nous poursuivons la marche vers Ras-el-Ayn, où nous arrivons en plein jour. Mais qu’y avait-il à Ras-el-Ayn ? Des milliers de femmes, de vieillards et d’enfants arméniens, dans ce vaste désert, parmi des bédouins et des circassiens. Ils ne disposaient que de l’eau du fleuve Al-Khâbûr. Je me souviens d’un soldat qui commanda au restaurant un plat de nourriture pour une jeune fille arménienne. Elle le dévorai inconsciemment, sans tenir compte de personne. J’étais trop jeune pour comprendre toute cette libéralité devant la beauté de cette jeune fille…
45. Ma mère avait caché dans ses vêtements un peu d’argent. Nous mangions nos provisions de route et achetions ce qu’on trouvait, à des prix exorbitants. Ne me demandez pas où nous dormions ou vivions ! Au lever, le matin, la puanteur était mortelle et la chaleur suffocante. On voyait les circassiens violer les jeunes filles arméniennes transportant leurs jarres pour aller puiser de l’eau au fleuve Al-Khâbûr. Nous restâmes à Ras-el-Ayn près d’une semaine. Après quoi le gouverneur fit proclamer dans le village qu’il y avait possibilité d’aller à Alep pour qui le voudrait. Mais où trouver l’argent ? Le billet d’un seul voyageur en train pour Alep coûtait une livre ottomane ! En tous cas, ceux qui avaient pu cacher quelque chose, purent le trouver.
46. Le matin nous emportons les quelques effets que nous avions et nous nous dirigeons vers la gare du chemin de fer. Je pense qu’on était au début du mois d’août 1915. Nous arrivons à Alep dans l’obscurité. Mais le bon Dieu nous envoya une personne qui connaissait le cousin de mon père, Said Kaspo . Venu à la gare, il nous accompagna chez lui. Que le bon Dieu l’en récompense, car cette nuit-là nous dormîmes d’un sommeil tranquille. Le jour suivant nous voyons les cours des églises et des écoles fourmiller d’Arméniens provenant de la province de Cilicie. Après avoir été hôtes de l’oncle pour quelques temps, nous trouvâmes une petite chambre où loger.
47. Le typhus et autres maladies faisaient rage. Où trouver l’argent pour nourrir toutes ces foules qui mouraient dans les impasses et les rues ? La police les poursuivait et après les avoir rassemblés dans le quartier Karelek, les conduisait dehors dans le désert. Là c’était leur tombeau. Le quartier Karelek devint un marché pour vendre et acheter les Arméniens. Une mère vendait son fils au plus vil prix, ignorant si elle le confiait à un être humain pour qu’il survive, ou bien pour en recevoir le prix, vivre quelques jours et ensuite mourir.
48. Quant à nous Mardiniens, la langue arabe nous sauva de ces calamités et nous nous mîmes à travailler ça et là, pour pouvoir vivre. Mon père avait ramassé l’argent, les bijoux et les objets précieux que nous possédions et les avait envoyés à Mgr. Israël Audo, évêque Chaldéen. Avec difficulté, nous arrivions à avoir l’argent qu’il nous transférait à Alep. J’avais une petite sœur, âgée de six ans. Elle était restée à Mardine, chez ma sœur aînée, dont le mari était Syriaque catholique. Elle serait certainement morte en chemin. Enfin ma tante Karima, qui est syriaque, l’amena avec elle et elle resta avec nous.
49. Nous cherchions du travail pour notre subsistance, car l’argent dont nous disposions s’épuisait. J’ai travaillé, par exemple, chez un pâtissier. Sur un plateau, il me plaçait quelques pièces que je devais aller vendre en criant. J’avais grande honte de ces cris. Il me semblait voir mes camarades de bureau me suivre et ricaner sur cet état bizarre où je me trouvais. Mais avec le temps, nous nous habituâmes à la pauvreté et à la misère.
50. Revenons à Mardine, que nous avions quitté avant les autres, la police se mit à pénétrer dans les maisons et à en sortir tous ceux qui s’y trouvaient, enfants et vieillards, pour les conduire à pieds là où il n’y avait ni arbres ni animaux. C’est ainsi que nous racontaient ceux qui passaient par Alep. Beaucoup furent conduits à Deir-Ezzour et moururent chemin faisant. D’autres furent mis en train et transportés dans les coins les plus reculés de la Syrie. Quelques uns purent s’échapper et s’établir à Alep, d’autres encore à Homs et à Baalbek. Une partie s’en alla à Tafîla. Nous avions là un grand nombre de parents qui vécurent au service des bédouins et des arabes, dans la misère et l’abrutissement. Ceux qu’on emmenait à Alep, au quartier Karelek, étaient conduits ensuite à Al-Bâb, Membij, Meskéné, Raqqa, Saddâdeh. Enfin on les rassembla en ces régions-là et on les abandonna à la merci des bédouins et des circassiens qui les massacrèrent d’un seul coup. L’on dit que le nombre de ceux qui moururent dans cette boucherie horrible atteignit les cinquante mille. Leurs os, réunis, formèrent une haute colline.
51. Voilà les misères que j’ai retenues et vues au sujet de ce peuple. Naturellement, je ne pouvais pas rédiger les événements au jour le jour. Enfin Dieu eut pitié de nous, la guerre cessa et nous pûmes marcher en pleine rue. Quelqu’un pourrait ne pas croire à ce que je viens de dire, ou à des expressions que je viens de rédiger. Mais c’est la pure vérité et la description des faits l’exigeait. Chaque Arménien a éprouvé ce que nul autre n’a éprouvé. On aurait besoin de gros volumes pour rédiger ce qui est vraiment arrivé. Je demande à Dieu d’avoir la force et la patience de supporter tout ce qui s’est passé, lui qui écoute et exauce.
1 Studia Orientalia Christiana, Collectanea, No. 29-30, Franciscan Centre of Christian Oriental Studies, Le Caire, 1998, p. 11-55. Dans ce numéro, P. Victor Mistrih ofm. publie 3 documents sur les événements de Mardine entre 1915 et 1920, recueillis, annotés, édités et traduits en français : les deux déjà cités, en plus d'un troisième écrit par Abdo Hanna Bezer et reproduit dans une autre page de ce site. Ici là, nous reproduisons la traduction française de P. Mistrih avec de légères corrections dans l'orthographe et le style.
2 C’est plutôt le jeudi de la Fête-Dieu, selon le texte original arabe et les autres témoins. Le traducteur a dû confondre le Jeudi Saint avec la Fête-Dieu. De nos jours, tandis que les Eglises orientales catholiques continuent à célébrer cette fête le jeudi, l’Eglise latine a reporté la célébration solennelle au dimanche suivant, sous l’appellation de Fête du Corps et du Sang du Christ.
3 Le discours entre guillemets ne se réfère pas à l’auteur. Il l’a emprunté au récit d’un témoin inconnu.