Né à Mardine en 1909, Arménien catholique, témoin spontané, il s’étonne que seul Mgr. Maloyan soit proposé pour la canonisation. Ses informations sont recueillies auprès des Kurdes massacreurs. Cependant, son témoignage nécessite quelques réticences, en effet :
- Il refuse de prêter serment
- Il est seul à parler d’une proposition de résistance anticipée.
Il est l’un des 25 témoins au procès diocésain de Mgr. Ignace Maloyan. Il fut interrogé par Mgr. Antranik Ayvazian, vicaire général de Kamichli des Arméniens catholiques, en 1986.
Q. Présentez vous.
R. Je m’appelle Youssef Khazaka, né à Mardine en 1909 environ. Mon père s’appelait Gabriel et ma mère Victoria. Arménien catholique, j’habite depuis quarante cinq ans Kamichlé, venant de Mardine. C’est Mgr. Ayvazian qui m’a demandé de venir témoigner.
À la demande de prêter le serment canonique, il dit tout étonné :
Est-ce possible qu’on prête serment pour une chose si connue ?
R. Je connais personnellement Mgr. Ignace Maloyan. Je l’ai vu, je l’ai entendu quand j’étais tout petit. Avant sa déportation, les notables arméniens du diocèse se sont réunis chez lui et lui ont dit qu’ils étaient prêts à devancer les événements en n’attendant pas à être déportés, mais en attaquant les agresseurs. Il leur a répondu : « Non. Dans notre religion, il n’y a pas cette conception des choses, mais on a droit uniquement à l’auto-défense ». Alors les notables lui ont proposé de lui faire passer les frontières vers les montagnes de Sinjar, et lui de répliquer : « Le pasteur ne peut pas quitter ses brebis pour avoir la vie sauve ». Le lendemain, environ cinq cents déportés, ainsi que Mgr. Maloyan et quatre ou cinq de ses prêtres prennent la direction de Diarbékir. En route, dans une localité appelée Jibb Dara (Puits de Dara) ils ont commencé le massacre, mettant Mgr. Maloyan dans un coin haut placé pour bien voir le massacre de ses ouailles. Priant, il les bénissait et les exhortait au martyre. Personnellement je n’étais pas au lieu du martyre ; aucun de nous Arméniens n’y était non plus. Toutefois, les témoins de la région, tous des Kurdes, venant en ville, racontaient ce qu’ils avaient vu. Personnellement, j’ai entendu ces Kurdes raconter ces faits, en ajoutant que Mgr. Maloyan massacré, ces Kurdes voyaient, pendant sept à huit jours, une lumière émanant du lieu du massacre, et qui faisait la navette entre leur village et Mardine. En passant par là, ils ne cessaient de voir cette lumière. Mon père faisait partie du convoi. En sortant de Mardine vers Diarbakr par la porte de Mechkiyé, nous enfants, montés sur un des balcons, nous avons vu le convoi partir et j’ai vu mon père qui se trouvait à l’arrière du convoi, et je l’ai reconnu à sa veste.
Mgr. Maloyan était gaillard ; Dieu connaît les âges, il avait environ cinquante ans. Le peuple l’aimait beaucoup ; il a construit deux églises et se préparait à construire une troisième. Comment les gens ne l’aimaient pas ?
Q. Est-ce que Mgr. Maloyan est mort pour sa foi ?
R. Je suis totalement sûr que Mgr. Maloyan est mort pour sa foi du Christ. Je ne sais pas si les Turcs lui ont demandé de renier sa foi. Il y a eu des Chrétiens qui ont renié leur foi à la demande des Turcs. Mgr. Maloyan et tous les membres du convoi ont été massacrés et jetés dans le puits et leurs restes y sont jusqu’à nos jours.
Q. Y a-t-il un culte public pour Mgr. Maloyan ?
R. Il n’y a pas eu de culte public pour lui ; les gens priaient pour lui et croyaient qu’il est martyr parce qu’il est mort pour la foi du Christ.
Nous, les gens âgés, nous n’avons pas oublié le martyre de Mgr. Maloyan, et nous le considérons toujours comme un saint. Toutefois, la nouvelle génération parle très peu de lui, mais croit à son martyre.
Q. Désirez-vous voir Mgr. Maloyan béatifié ?
R. Oui, je voudrais que Mgr. Maloyan soit béatifié. N’est-il pas notre père ? C’est naturel et normal qu’on désire le voir un jour sur les autels. Tous désirent le voir glorifié. Mais je me demande pourquoi le béatifier tout seul, du moment qu’il était accompagné de quatre autres prêtres, massacrés comme lui et avec lui et dans les mêmes conditions. Ceux-ci ne devraient-ils pas être béatifiés comme lui, ou bien les prêtres sont « de la petite monnaie » ?
Je n’ai rien à ajouter, ni à modifier, à tout ce que j’ai dit et que je trouve conforme à ma déposition.
Il a juré qu’il a dit la vérité, tout en refusant de faire le serment sur l’Evangile, qu’il considère un geste sacrilège. Il a même déclaré être prêt à mourir pour le Christ plutôt que de prêter serment sur l’Evangile du Christ. Et il a signé.
Mgr. Antranik Ayvazian et le Père Joseph Mahfouz ont été impressionnés par la spontanéité du témoin, et de ses étonnements face à certaines questions concernant la sainteté et le martyre et l’attachement des fidèles à leur évêque.