Récits du martyre | Lettres P. Thomas Saleh
Dans son rapport annuel, rédigé en italien et envoyé à Rome, au Père Général Pacifico de Sejano, le Père Thomas présente l’exercice de son apostolat et la direction de l’école ainsi que la situation politique dans l’Empire turc.
Kharpout, 20 décembre 1909
Révérendissime Père Général
Il s’est déjà écoulé un an depuis le temps où j’ai écrit à votre Paternité Révérendissime pour vous présenter mes vœux et mes sentiments sincères pour le Nouvel An. Cette année aussi, je me présente à votre Paternité Révérendissime en demandant au Donneur de toute grâce de vous combler de tout bien et faveurs.
Maintenant, je viens vous informer de mon travail dans cette station au long de l’année 1909. Je vous précise que ce n’est pas un grand travail que je fournis, mais c’est un petit travail préparatoire au Saint Ministère : l’étude de la langue turque. J’ai commencé un peu à balbutier dans cet idiome. La difficulté est que, dans cette station, il y a deux langues : le turc et l’arménien ; et pour faire quelque bien aux habitants, il faut connaître pratiquement les deux langues.
Au début de l’année scolaire, le Supérieur, qui est un Français, m’a donné la direction de l’école. J’y donne encore des leçons de français et quelques conférences sur l’éducation, également en français, conférences qu’un professeur traduit aux enfants, en arménien.
Pour le moment, c’est tout mon travail. Ainsi, il a plu au Seigneur de m’envoyer ici par le moyen des supérieurs. Qu’il lui plaise maintenant de m’aider à faire sa sainte volonté.
Deux mots sur l’état actuel de l’Empire Turc. Il semble que les heures terribles des massacres soient passées. Toutefois la Turquie se trouve dans une autre phase non moins terrible. Elle se trouve dans un embrouillage et un désarroi général...
Les Jeunes-Turcs sont sans religion. Ce sont les vrais francs-maçons de l’Orient. Après avoir aboli le système du gouvernement et proclamé la Constitution, ils ont formé, presque dans toutes les villes, des clubs, sous le nom séduisant de Comité d’Union et Progrès. Ce titre charme et fascine beaucoup les gens qui composent le pays et qui, de siècle en siècle, se combattaient avec rage. Et comme les multiples religions sont celles qui séparent les différents éléments, il se trouve que dans ces réunions qui se tiennent fréquemment, on ne parle ordinairement que contre les différentes croyances, pour les avilir, les railler et finalement arracher la dernière étincelle de foi qui leur reste. Il est sûr que certains catholiques fréquentent ces réunions diaboliques.
D’autre part, ils sont catholiques de nom et rien de plus. Rarement ils assistent à la Sainte Messe les dimanches ; rarement ils s’approchent des Saints Sacrements. Les schismes d’Orient ont brûlé, assoupi, tué l’esprit chrétien chez les simples fidèles qui se trouvent dans l’ignorance. Ils en ont fait des païens. Ils ne leur ont laissé que le signe de la Croix avec lequel ils se signent quelquefois. Ainsi donc nos catholiques participent eux aussi aux défauts même de cette race. Aussi, pour les missionnaires, c’est un travail bien ingrat. Il faut commencer par les arracher de leurs superstitions qu’ils avaient rejetées autrefois.
Une autre question est que ce nouveau régime politique fait miroiter une véritable espérance pour les pauvres turcs puisque dans ce changement de gouvernement et par sa manière de faire, il leur enlève un peu le fanatisme et les rend plus tolérants pour toute croyance et par cela les rend plus traitables et prêts à se rendre à la raisons et au bon sens.
Mais tout est entre les mains de Dieu qui peuvent guérire toutes les nations. On ne peut nier que les Jeunes-Turcs ont soif de progrès, ils cherchent à établir entre les éléments différents des relations plus amicales et plus fraternelles, à étouffer les germes de haine qui font du mal, aussi bien à ceux qui les nourrissent qu’à ceux qui les subissent. Mais il est impossible que la force brutale d’un gouvernement athée puisse réaliser un tel projet et donner la félicité au monde souffrant, pendant un temps si long, au moins ici. Nous l’avons déjà constaté à diverses reprises par les massacres qui ont eu lieu. Il y a un grand obstacle qui est l’absence d’une puissance morale capable de donner une forme neuve et meilleure à l’humanité assise dans les ténèbres et dans l’ombre de la mort, de régénérer l’âme du peuple qui est un mélange d’hérésie et de mahometisme et dont les personnes se détestent à mort comme chiens et chats. Seul le catholicisme est capable de donner cette meilleure forme et les deux félicités parce que sa devise est: « Aimez-vous les uns les autres » et non comme celle de ceux qui lui sont étrangers [et qui disent] : « Utilisons-nous les uns les autres ». Pour que le monde se transforme, il faut nécessairement que les coutumes changent parce que l’amour mutuel ne s’impose pas par décret.
Enfin, je termine avec l’espoir que le christianisme qui, par le passé, a remporté la victoire sur le monde païen, pourra l’emporter sur les nations éprouvées de l’Orient et qui ont été trompées et séparées par le schisme et détenues sur l’infâme joug de Mahomet. Quand cela sera-t-il ? Il ne nous est pas donné de connaître les desseins de la Divine Sagesse.
Acceptez, cher Père, les sentiments de respect et d’ Obéissance de votre indigne fils en S. François.
fr. Thomas de Baabdath
Missionnaire Apostolique Capucin
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