« Récit abrégé des massacres à Mardine en 1914 »
Les Capucins, installés à Mardine depuis 1685, y tenaient une école florissante de garçons. Persuadés de l’importance d’une présence féminine, ils firent appel aux Sœurs Franciscaines de Lons-le-Saunier. Le premier groupe de 4 sœurs arriva à Mardine en avril 1875. Un deuxième groupe se dirigea vers Diarbakr en mars 1882, un troisième vers Ourfa en 1884. Ces Sœurs furent la main droite des Pères Capucins dans la Mission d’Arménie et de Mésopotamie. Leur vie exemplaire suscita de nombreuses vocations autochtones, parmi les Arméniennes, les Syriaques catholiques et les Chaldéénnes. En 1914, avec le début de la Grande Guerre et suite à une intervention du Pape, le gouvernement turc permit l’évacuation des religieuses françaises. Seules restèrent les religieuses de nationalité ottomane. À Mardine, elles étaient trois : Pacifique, Assomption et Agathe. Après la confiscation de leur maison et de leur école de filles, la police vendit tout leur mobilier aux enchères. Deux sœurs durent rejoindre leur famille, alors que sœur Marie de l’Assomption, chaldéénne, rejoignit l’évêché Syriaque Catholique, où elle assista, impuissante, à la déportation des membres de sa famille, leur exécution avec P. Léonard et recueuilla le témoignage de plusieurs survivants dans les convois d’hommes et de femmes qui ont suivis.
Quatre ans plus tard, elle écrivit le « Récit abrégé des massacres à Mardin en 1914 » qui mérite une attention particulière, car il est écrit par un témoin oculaire féminin avec beaucoup de détails. C’est le seul document, à notre connaissance, qui indique comment a été tué P. Léonard : « …et notre regretté Père a reçu un coup de poignard au cœur ». Des versions variées de ce récit ont été envoyées à plusieurs personnes, parmi lesquelles le P. Juste de Baabdath (+1962). Quelques mois avant sa mort, Jean Saleh (+1992), frère du P. Juste, me remis la version reçue par son frère Capucin, avec d’autres manuscrits et photos, me disant qu’il était sûre qu’ils seront entre de bonnes mains qui sauront les utiliser pour les bonnes causes. Le P. Thomas Saleh, confrère du P. Léonard, martyr à Marache le 18 janvier 1917, est l’oncle paternel de Jean.
Nous reproduisons ci-dessous la version la plus complète du récit, tirée des archives des Capucins de la Province S. Bonaventure de Lyon. Vu la longueur du récit, nous y avons ajouté des sous-titres pour faciliter la lecture. Le lecteur trouvera des erreurs dans le style, la ponctuation et l’orthographe. Nous les avons délibérément laissées. Dans la version de M. Jean Saleh, moins complète que la précédente, la sœur présente ses excuses au P. Juste et lui demande « d’avoir égard aux fautes que vous trouverez, car n’étant pas française, je fais des fautes ».
La première page du manuscrit de sœur Marie de l’Assomption remise à l’auteur de ce site par M. Jean Saleh. C’est un « Petit récit très abrégé » moins complet que le « Récit abrégé » qui est reproduit ci-dessous.
L’angoisse des chrétiens de Mardine
Le 23 Décembre en 1914 les Musulmans nous chassèrent de Diarbakr et nous renvoyèrent à Mardine, notre ville natale, ils nous firent accompagner par un soldat aussi méchant que farouche, une pluie battante nous rendait le voyage bien plus triste et au deuxième jour de notre voyage la voiture culbuta et l’une de nous se cassa le bras, ainsi notre voyage fut plein d’angoisses, enfin nous arrivons ainsi chez nous, là on rencontra trois R. Pères Dominicains éxilés, et la veille du jour de l’an 1915 on amena de Diarbakr deux arméniens que l’on fusilla en dehors de la ville devant tout le peuple assemblé, la terreur était parmi nous, mais nous ne pouvions comprendre l’avenir. Puis la tranquillité fut passable jusqu’au mois de Mars, et alors les Turcs commencèrent à réunir tous les jeunes gens Chrétiens pour les faire travailler sur les routes, riches et pauvres tous y passaient, c’était l’esclavage des Israëlites sous la domination des Egyptiens, ensuite pendant le mois de Mai, la police fouilla toutes les maisons Catholiques et ramassèrent les armes et tous les soldats Chrétiens étaient désarmés et dépouillés de leurs costumes.
La terreur était dans nos cœurs on s’attendait à un massacre mais de quel genre ? on ne pouvait le savoir. Dans le courant de ce même mois M. Fattouh Kandir reçoit de Diarbakr, une lettre qui lui dit, fuis chez les arabes avec tes enfants, les choses vont très mal, puis une seconde et une troisième lettre de ce genre. Lui les montrant au principaux Catholiques, ceux-ci lui disent : « brûle ces lettres, à Mardin nous ne craignons rien, nos Turcs sont brâves. Ces pauvres gens se tranquillisent là-dessus, mais voilà que leur cruauté sera éxécuté avec plus de fourberie qu’ailleurs.
Arrestation de Mgr. Maloyan
Voilà le 4 Juin, Fête de Dieu, Mamdouh Bek s’amène à Mardine à midi, sitôt arrivé il fit mettre la garde autour de la ville afin que personne ne puisse échapper à sa fureur ; et à 3 heures, il envoya la police à l’Eglise paroissiale des Arméniens catholiques et fit arréter Monseigneur Maloïane [Maloyan], avec son secrétaire et 2 Prêtres, ils comparaissent devant Mamdouh et la question était de savoir, ou étaient cachées les armes de sa nation ; en même temps se trouvait là un malheureux chrétien qui s’était fait Turc, il rendit faux témoignage en disant que lui-même avait vendu des armes aux Arméniens, il indiqua même le lieu où il les leur avait vendus, c’était tout dire. Alors après avoir posé bien des questions à Monseigneur et aux Prêtres, sans aucun résultat, il fit venir le 1er richard Arménien, Iscandar Adamme, avec plusieurs principaux et pendant qu’il les questionna, il envoya les soldats faire de grandes recherches à l’Eglise et même ouvrir le caveau des Evêques et des Prêtres, n’obtenant toujours aucun résultat, il les fit tous mettre dans la caserne, et le lendemain, même questions avec menaces, alors commença la tournée effrayante. Deux policiers et quatre soldats armés, emmenèrent les 5 Prêtres qui restaient à l’Eglise et ils pénétrèrent dans les maisons et les bazars, emmenèrent tous les jeunes gens et vieillards Arméniens qu’ils trouvèrent et les principaux Chaldéens et Syriens Catholiques, parmi eux notre regretté Père Léonard Capucin Libanais.
Ce jour là comme d’habitude quoique avec une grande crainte je pars voir Monseigneur Djibraël Tapponi et le Très R. Père Jeaques Rethoré. Sa Grandeur me dit que je devais me voiler comme les femmes du pays pour rentrer chez nous. Quel coup, mais j’espérais que ce n’était que pour cette fois, je mets un grand voile noir par dessus mon costume, je rentre chez nous en pleurant, mais sans désespérer et attendant le reste de la journée. Mais toutes ces recherches durèrent 7 jours. Pendant cet intervalle toutes les nuits Monseigneur, avec trois ou quatre des personnes étaient descendus dans une chambre de supplice et là on leur donnait une bastonade sur les pieds en leur attachant les bras en Croix, puis ils remontaient à la caserne. Parmi eux se trouvait un avocat M. Batâné, ils l’ont tant frappé sur les molets, puis ils mettaient du sel sur ses plaies, qui sentaient mauvais, alors le cruel Mamdouh le fit mettre dans un sac et le fit tuer en dehors de la ville, puis jetèrent son corps dans une citerne…
Pendant ce triste séjour nos chers martyrs se confessèrent plusieurs fois et lorsque vint le dernier jour ils apprirent que leur fin approchait, alors Monseigneur, les exhorta, les encourageant, leur montrant le Ciel ouvert et la couronne de gloire qui les attendaient. Et là alors se trouvaient réunis 8 Prêtres Arméniens, 4 Syriens Catholiques et notre Père Léonard. Vers midi commencèrent les confessions, ils étaient 480 hommes, le plus grand nombre des pères de famille, des jeunes gens de 18 à 20 ans ; à 5 heures Monseigneur se fit apporter du pain et du vin et fit la Consécration, puis il donna la Communion aux Prêtres sous les deux Espèces et les Prêtres communièrent les fidèles. Mais pendant cette sainte cérémonie, ce tenait un policier derrière Monseigneur, et à chaque phrâse d’encouragement, ce malheureux lui appliquait un soufflet et notre Héros de la foi ne répondait pas un mot à cette barbarie. Enfin voilà qu’à 8 heures du soir le cruel Mamdouh vient leur dire ; Nous allons vous envoyer à Diarbakr, là vous serez jugés. Mais sa fourberie était comprise, alors Monseigneur, prit la parole et lui dit, Excellence, puisque c’est vous qui nous avez fait arrêter, c’est vous que nous demandons pour nous escorter jusqu’à Diarbékir : il lui fut promis. Mais tous nos chèrs Martyrs comprenaient très bien qu’ils n’iraient pas si loin.
Le premier convoi d’hommes
Alors commença le drame le plus émouvant, dans tous les quartiers de la ville on annonça, qu’il n’y avait pas de départ et que sous peine d’être fusillées toutes les malheureuses mères, enfants et épouses, devaient rentrer chez elles, car les rues en étaient encombrées ; mais leurs menaces ne firent pas bien peur à nos cœurs déchirés par la cruelle séparation des nôtres et tout le monde se tenait sur les terrasses. Quelque chôse nous disait que l’on nous trompait et pendant toute la nuit nos regards se dirigeaient du côté de la cour de la caserne, qui, en cette nuit a été le champ de souffrance. Moi comme les autres je regardai la cour battant bien fort ce qui allait se passer, j’avais parmi ces héros mon neveu âgé de 21 ans fils unique de ma pauvre sœur affolée et son père âgé de 60 ans des cousins, des connaissances et des amis, pendant que la douleur brisait mon cœur, un de mes proches me cria, quitte ta guimpe ou tu vas recevoir une balle, est-ce le moment de te montrer avec un costume français ? Oh ! Alors quel coup mon Dieu ? Je rentre chez nous, je quitte voile et guimpe et en sanglottant je retourne à ma triste curiosité. Pendant cette attente voilà l’ordre du féroce Mamdouh, ils les firent sortir un à un, les rouaient de coups, puis ils les liaient 2 à 2 et cela tous sans exception, parmi eux un Prêtre avec son papa âgé de 90 ans. Père Léonard au 1er rang, lié avec leur domestique Asad, les rangs étaient de 6, Monseigneur avait des fers au pouces, et les principaux leurs fers étaient au cou, mais le héros Pasteur était derrière son troupeau, devant le cheval de Mamdouh, bénissant et encourageant ses enfants, et de chaque côté de ce triste cortège étaient une trentaine de soldats. La marche solennelle et imposante se fit à 4 heures du matin, tous, pieds-nus et tête-nue, on n’entendait pas un mot, un silence parfait. Iscandar Adam était avec ses 2 fils âgés l’un de 25 ans et l’autre de 28, ce père de famille en passant devant sa maison, jeta un regard sur sa femme et ses enfants, il reçut aussitôt un coup terrible, Père Léonard, leva la tête devant l’Eglise des Pères, il reçut sur la tête un coup avec le manche du fusil, ma malheureuse sœur voulut s’élancer auprès de son fils, on lui mit le fusil contre, je n’ai fait qu’un bon pour la ratrapper et elle s’évanouit entre mes bras. (ô ! cruel Mamdouh jusqu’à quand vous nous tourmenterez ?) et ainsi de suite tous ceux qui ont eu le malheur de bouger ont souffert.
Le massacre
Enfin ce jour heureux, si je puis le nommer ainsi, était le 11 juin, vendredi, fête du S. C. de Jésus, et ce jour là même ils arrivèrent entre les montagnes, non loin de Mardine, ils furent tous massacrés, mais comment ? voilà 4 ans et l’on ne sait pas encore au juste, parce qu’ils avaient jurés ces monstres sur leur Kourane (ou Evangile) de ne jamais dire la vérité. Mais voici les parolesd’un Turc qui assista au massacre (parceque beaucoup y sont allés pour rapporter de leurs vêtements, leurs montres, leurs bagues, etc.) Il nous dit que c’était dommage d’user des cartouches pour les chiens de Chrétiens (chiens est le nom le plus doux) mais qu’ils tappaient dessus avec de grosses massues comme l’on tappe sur une courge, le coup tombe ou il veut. Mais pour Monseigneur, il a été mis en morceau, il fut le dernier exécuté et notre regretté Père a reçu un coup de poignard au cœur , puis ils les mirent tous à nu et exposèrent leurs corps au soleil pendant une quinzaine de jour. Mais il faut savoir qu’avant leur Martyr, Mamdouh leur dit, voilà l’ordre que j’ai reçu, vous devez tous être tués, mais nous vous laissons la liberté, celui qui veut se faire Turc, je le renvoie chez lui. Et tous d’une voix unanime de dire, nous vivons et nous mourrons dans la foi du Christ et ils firent tous leur signe de Croix, alors Monseigneur leur dit, courage mes enfants le Ciel est ouvert, aussitôt les soldats commencèrent leurs crimes. Et le lendemain à midi nous avons vu revenir les cordes qui les lièrent et Mamdouh avec elles. Tout était fini. Pendant cet intervalle Monseigneur nous fit dire expressement à toutes trois de quitter l’habit, nous gardâmes quand même nos tuniques jusqu’au départ des familles.
Le deuxième convoi d’hommes
Mais le cruel tyran, ne s’en tint pas là, le 12 il recommença et voilà que le reste des hommes est pris ; 5 Prêtres Syriens Catholiques et 4 Arméniens qui étaient dans une autre Eglise, leur nombre fut de 300. Mais cette fois là la plupart d’entre eux ont été battus rudement, ou dans la cour de l’Eglise (comme ils ont fait à un Prêtre âgé de 70 ans) ou à la salle de police avant d’aller à la caserne et le 16 l’après midi, ils exécutèrent les mêmes cruautés qu’aux autres, les lièrent et les emmenèrent. Cette fois Mamdouh Bek, resta à Mardine. Arrivé dans une grotte, ils les firent tous entrer dedans. Et voilà le récit de l’un d’entre eux qui est revenu et qui était mon second beau-frère, mais il n’a pu survivre à tant de souffrances, il revint, une grande plaie à la tête et les pieds tous meurtris, il pleurait comme un enfant lorsqu’il nous racontait ce qu’il avait vu et que nous ne pouvons pas écrire. Il mourut bientôt laissant sa femme avec 5 enfants. Récit juste, mais n’expliquant pas toutes les barbaries.
L’Abbé Matta Malâche (Mgr. Mikhaïl Aljamil, Tarikh wa Syar – Histoire et Biographie des prêtres syriaques catholiques de 1750 à 1985, Beyrouth, 1986, p. 372))
L’abbé Malâche
Dans la grotte la 1ère chose en arrivant, les Prêtres se mirent à les confesser tous, les encourager au martyr. Et vers minuit, ces féroces avaient inscrit 80 noms des Prêtres Arméniens et des principaux auquels ils avaient mis un cercle en fer au cou, parmi eux un jeune Prêtre Syrien Catholique, s’offrit lui-même à partir avec les 80. M. l’abbé Malâche, qui s’était préparé 2 jours avant qu’on le prenne, il me disait, je me prépare au noce de l’Agneau ; et le jour qu’il a été pris il était au confessional, lorsque la police entra à l’Eglise et le nomma tout haut, aussitôt il sortit et leur dit ; c’est moi l’Abbé Malâche, attendez une minute et je suis à vous, alors il se présenta à l’autel, demanda la sainte communion au Prêtre célébrant, puis voyant la foule pleurer, il se retourna et leur dit : « mais pourquoi ces pleurs, aujourd’hui c’est le jour du triomphe et de la gloire, nous allons aux noces de l’Agneau » et il suivit les soldats et ne revint plus, il s’était fait lui-même du nombre des 80, mais l’on n’a jamais su le genre de leur mort, ils n’en revint aucun.
Ordre d’arrêter le massacre et retour à Mardine
Alors sur le matin les soldats leur dirent, nous allons continuer notre route pour Diarbakr, les voilà en marche, ils les faisaient passer par des chemins pleins d’épines ou des cailloux brûlés par le soleil de juin en Orient, puis arrivés près de l’eau, tous liés 2 à 2, ils les firent asseoir près de l’eau, et sans rien dire, voilà une grêle de coups de fusils qui leur arrive et beaucoup parmi eux tombèrent, du nombre un jeune Abbé, M. l’Abbé Gabriël Sakat, âgé de 27 ans « mon petit cousin » il reçu la bâle derrière l’oreille et elle sortit du côté opposé, il tomba sur le Prêtre Syrien, avec qui il était attaché et cria O Jésus secourez-moi ! et il expira, puis les soldats arrivèrent, coupèrent les cordes pour séparer les vivants des morts, et par haine leur coupaient la tête, les dépouillaient et les laissaient en place (ce Prêtre a eu 2 frères massacrés l’un plus âgé que lui et l’autre avait 17 ans il était avec lui et sa malheureuse mère vit encore), en trois fois ils leur firent subir cette cruauté, lorsqu’à la troisième fois, arriva un messager de Diarbakr leur disant : arrêtez il n’y a plus d’ordre de les détruire, alors ils arrivèrent ainsi à Diarbakr 150 à peu près, là ils les mirent en prison et le 21 ils revinrent à Mardine, et le 24 de grand matin nous les vîmes arriver 2 à 2 en tête un Prêtre âgé de plus de 70 ans, son bâton à la main tête-nue et pieds-nus, un de ses élèves l’apercevant court lui porter des souliers, et ils allèrent ainsi en grand silence jusqu’au gouvernement.
Là Mamdouh leur dit qu’ils n’avaient qu’à être reconnaissants envers notre Roi, parcequ’il les avait délivrés de la mort dont ils étaient tous condamnés, alors ces pauvres gens remercièrent comme ils purent, en criant : Vive le Roi, vive Mamdouh Bek. Mais il fallait rentrer dans la caserne, Mamdouh n’était pas rassasié de tourmenter les pauvres chrétiens. Alors il commença par séparer les Syriens et les Chaldéens, d’entre les Arméniens, ces derniers restèrent dans la caserne et les autres tous les jours ils en délivraient quelques uns, après les avoir roués de coups, parmi eux ce vieillard a reçu sous les pieds 300 coups de bâton, ils lui ont arraché la barbe et la lui ont enfillé dans sa soutane et pour cette exécution ils l’ont mis en Croix, lui disant ton Christ aussi a été mis en Croix, appelle le Il viendra te sauver, sa langue lui sortait de la bouche, tellement il souffrait ; il fit signe qu’on lui donna une goutte d’eau, on la lui refusa, après cette barbarie ils le firent comparaître, mais il lui était impossible de faire un pas, voilà qu’un Turc, amène un âne le met dessus le soutien et le ramène demi-mort à son Eglise, Monseigneur et les Prêtres le reçurent et firent venir tout de suite le docteur ; je vais le voir sa langue ne pouvait pas tourner, il me montra sa barbe et il a pleuré en disant : « je n’ai pas mérité le Ciel, tant souffrir et ne pas mourir ! » il a guérit et vit encore, pour la gloire de Dieu. Ensuite ils firent partir les Arméniens du côté de Mossoul et là tous furent massacrés.
Au tour des femmes
Pendant ce temps depuis le 24 juin au 21 juillet à peu-près, nous vîmes arriver les femmes et enfants de l’Arménie par centaine, il y avait 6 mois qu’elles étaient en voyage, les trois-quart étaient mortes de faim et de misère, on ne voyait que des squelettes couverts de chiffons ; alors là il fallut quitter entièrement le costume religieux ou s’exposer à partir, non, pour être massacrées, mais pour tomber entre leurs sales griffes infernales. Voici le 21 juillet, c’est à notre tour, à 4 heures du matin, pendant que, femmes et enfants dormaient encore, la police était sur les terrasses, qu’elle avait escaladées et aux portes d’une dizaine des principales familles. Lorsque ces pauvres femmes se réveillèrent, elles comprirent tout de suite leur sort, ni or, ni argent ne purent les sauver, ils leur donnèrent la journée pour se préparer, et le soir ils firent venir une ou deux voitures de charge à chaque famille selon leur nombre et à minuit le cortège se mit en route.
Chammé Djinandji
Parmi ces nobles familles de martyrs se trouvait une dame dont le nom est Chammé Djinanchi, elle avait un fils unique âgé de 18 ans, deux de ses filles ont été massacrées avec leurs beaux parents et elle en avait avec elle 4 dont la plus petite Virginie avait 3 ans, cette mère courageuse fit la toilette de ses 4 enfants et leur dit, maintenant nous allons au Ciel, n’ayez pas peur, un jour de plus ou de moins sur la terre, ça ne vaut pas la peine d’y rester, nous allons rejoindre votre père qui nous attend là-haut, puis elle pris la plus petite par la main, les amène tous sur un balcon qui donne en face de la fenêtre de la chambre de Monseigneur, elle l’appela, en le riant de les bénir, de sa fenêtre Monseigneur bénit cette charmante famille et puis elle descendit en voiture, toutes les voitures se rencontrèrent en dehors de la ville et sur le matin ils commencèrent leur cruautés, ils emmenèrent le fils de cette dame, le tuèrent et rapportèrent son costume tout ensanglanté à sa mère, puis ils la mirent toute nue lui coupèrent les oreilles, le nez (etc) elle mourut ainsi mise en pièce, et ses filles ont été prises par les arabes à cause de leur beauté. Parmi ce convoi, il s’en echappa une, qui fut vendue aux Kurdes, puis elle a pu rentrer, et nous a raconté des choses que la plume ne peut écrire. Le lendemain matin les voitures rentrèrent vides à Mardine.
Deuxième convoi de femmes
Le 2ème convoi des femmes commença le 5 Août, pendant quatre jours on ne rencontrait dans les rues que soldats et policiers armés de bâtons ; ils entraient dans les maisons en escaladant les murs, le jour, la nuit, n’importe, ils battaient les femmes faisaient venir 2 ou 3 ânes selon le nombre des personnes et il fallait marcher devant eux. Et le 8 fut le tour de ma pauvre et regretté sœur ainée avec une jeune fille et une jeune femme avec son 1er bébé âgé d’un an et demi.
Comment cette fatale journée, il a fallu que ce soit moi qui prépare quelques provisions pour ce malheureux voyage, pendant qu’elle avec ses enfants se lamentaient et pleuraient son fils en exil. Il a fallu me tenir debout toute la journée et faire un si douloureux travail avec courage, et lorsque la police arriva pour inscrire leurs noms, ils voulaient à tout prix me mettre du nombre, mais je niais ma chère sœur en disant que c’était notre voisine et je me sauvai chez mon cousin tout près, afin de voir le triste départ qui se fit à minuit. Dieu seul comprit et vit en ce moment les déchirèments de mon cœur, j’habille le petit, je les embrasse comme étrangère devant la police qui épie tous nos gestes, nous n’osons seulement pas pleurer ni dire un mot. Mon Dieu fiat c’est le cri de mon cœur jusqu’à la mort. Puis le 9, toutes, femmes, enfants étaient réunies sur une grande place comme un troupeau d’agneaux qui attand la mort, mangeant le peu de provisions qu’elles avaient emportées. Et c’est à ce moment que sœur Pacifique a été éxilée avec sa famille. Enfin le 4eme jour, la marche commença et se dirigea du côté d’Alep, elles étaient plus de 500, ils les firent marcher 800 kilomètres, pendant trois mois, la moitié périrent de faim, les enfants étaient volés, les vieillards assommés et c’était le plus doux voyage que les femmes ont fait. Alors voici que je reçois une lettre de ma sœur à la 1ere station et pour ce petit billet le soldat voulait un franc, moi ne voulant pas céder tout de suite, il tira son épé contre moi et me menaça, je me dépèche de lui donner son franc bien vite. Puis au bout de la même année je reçois la nouvelle déchirante, ma sœur mourut de faim et de misère, ainsi que la maman d’une de nos sœurs.
Autres convois de femmes
Voici encore un départ, il était de 150 et plus, arrivé près d’un village kurde, le signal donné par les soldats était un coup de fusil. Alors tout les Kurdes sortirent comme des loups sur des agneaux, là il y a eu une guerre terrible, les petits enfants étaient jetés contre les rochers, ou dans l’eau, toutes ont été mise à nu, les jeunes filles et femmes emmenées et vendues en plusieurs fois. C’est là que nous avons eu deux sous-maîtresses martyres, l’une a eu le corps partagé et l’autre a été gardée pour la faire Turc, elle a reçu beaucoup de coups, puis lorsqu’ils en eurent assez ils la tuèrent. Puis lorsque leur carnage était fini, ils ammoncelaient les corps comme un tas de bois bien rangé, ils les arrosaient de pétrole, y mettaient le feu, puis ils tamisaient les cendres afin d’avoir les bijoux que ces pauvres malheureuses avaient avalés. Depuis les convois étaient plus fréquents jusqu’au mois de Novembre, nous avions toujours la police et les soldats jour et nuit, tantôt chez les uns, tantôt chez les autres. Alors ils en réunissaient 50 ou plus dans l’Eglise Arménienne pendant quelques jours, puis ils les menaient à Dâra, petit village non loin de Mardine, là se trouve un précipice sans fond ou se trouve des miliers de corps humains. Arrivés là le signal se donnait, les Kurdes arrivaient les mettaient toutes à nu (c’était un compte fait, les vêtements de dessus étaient pour les soldats et ceux de dessous pour les égorgeurs. Et ils leur disaient : Votre Christ est bien mort nu, puis ils faisaient passer les plus agées (parmi elles une de nos maîtresses qui avait bien 80 ans et qui était presque aveugle) 2 à 2 leur passaient le couteau sur la gorge et à demi-tuées, ils les jetaient dans ce précipice (on a vu pendant 15 jours des corps à demi égorgés et jetés dans des citernes sèches) et les jeunes filles qui leur plaisaient ils les emmenaient vendre de l’un à l’autre et c’est ainsi que nous pouvions savoir ce qui se passait par l’entremise de ces pauvres créatures qui revenaient, mariées à des Turcs, ou jetées dans les rues lorsqu’elles étaient malades. Pendant tous ses événements je n’avais pas un jour de tranquillité, quoique déguisée, ils demandaient toujours ou était la religieuse ? et lorsqu’ils s’adressaient à moi, je leur répondais qu’elle était en exil, oui certes je l’étais bien, loin de ma famille religieuse, pas une âme auprès de moi.
Enfin parmi ses derniers convois de femmes, j’avais une nièce par alliance et mon neveu âgé de 31 ans à été massacré près de Diarbakr, mais elle fut prise avec son enfant âgé de 22 mois et ses frères de grands jeunes gens. Les hommes furent mis en pièces, une de leur femme fut emmenée et les Turcs la dépouillèrent de ses vêtements, puis elle dépouilla son enfant. Ces monstres lui dirent : donne nous l’enfant, elle leur dit : je ne vous le donnerai jamais tuez-le avant moi, alors ils le lui arrachèrent brutalement ; se voyant entre leurs sâles mains, elle se jetta vivante dans la citerne sur des miliers de cadavres jisant. Quand et comment est-elle morte ? C’est le secret de Dieu seul.
Récit d’une survivante
Encore une enfant de notre classe que son père a rachetée, je suis allé la voir, elle n’avait plus de figure humaine et elle me dit, que, lorsqu’on les emmena après les avoir mis à nu, on fit le choix des plus belles, puis on leur tomba dessus à coup de couteaux et de haches, elle reçut 4 coups le dernier a été si fort quelle tomba évanouie, alors ils l’abandonnèrent croyant qu’elle était morte. Voilà ses propres paroles : « Lorsque je revins à moi, je vis tout autour de moi un grand champ de cadavres tout nus et mon fils aîné qui avait 3 ans était baigné dans son sang et le plus jeune de quelques mois, était attaché la tête en bas à un arbre à côté de moi et tout brûlé, alors je reperdis connaissance à la vue de ces horreurs, puis le matin en revenant à moi, je jetai un cri en demandant si quelqu’un était en vie qu’il ait pitié de moi. Il se trouva 2 femmes, nous nous consultons, que faire ? il faut mourir, il vaut mieux qu’on nous achève que de mourir ici de faim, nous étions toutes nues et ainsi nous nous sommes mises en marche, ou aller ? dans les montagnes et cela pendant 6 jours, mangeant de l’herbe et mourant de soif, car on rencontrait rarement de l’eau. Voici des Kurdes, ils assommèrent la plus âgée et ils nous emmènent, ils me vendirent 3 fois ». Le dernier coup qu’elle reçu suppurait encore. Et si toutes celles que j’ai vues pouvaient écrire leur récit il faudrait des volumes entiers, chacune a eu son supplice d’une façon barbare.
Récit d’un survivant arménien
Pendant que toutes ses horreurs se passaient chez les Kurdes, il y avait en prison dans la citadelle de Mardine une centaine d’hommes, ils y restèrent 25 jours, jusqu’a la fête des Turcs, que l’on appelle, fête du Courbân ou du sacrifice. La veille de leur fête ils firent le trillage, ils renvoyèrent les Syriens des 2 rites et les Chaldéens, restaient les malheureux Arméniens, ils les lièrent 4 par 4 et à 8 heures du soir ils les emmenèrent non loin de la ville ou se trouvait une citerne sans beaucoup d’eau, là ils les prenaient 1 à un ils les déshabillaient et leur coupèrent la tête en sacrifice et les jetaient dans la citerne, lorsque les derniers virent que c’était la mort sans rémission, 4 d’entre eux se dirent, il faut mourir et bien jetons-nous dans la citerne et nous ne mourrons pas par leurs sâles mains, alors le 1er tira les autres et ils se jettent tous les 4. Le 1er fut tué sur le champ, le 2em vécu quelques jours, fou, le 3em vécu 15 jours et le 4em vécu une trentaine de jours : Lorsqu’une femme Kurde arrive sur le bord du puits et demande s’il se trouvait quelqu’un en vie, elle jura par Mahomet, quelle le sauverait sans lui faire de mal. Et le pauvre homme vivant de l’herbe qui poussait au mur et buvant presque du sang humain répondit à la voix de cette sauvage ; alors la malheureuse lui tendit une corde, afin de le retirer ; et aussitôt qu’elle l’aperçu elle lui lança une grosse pierre, lui cassa un bras et lui endommagea la poitrine ; aussitôt il se rejette sur les corps morts et lui cède bien vite sa corde.
Deux ou trois jours après, un Kurde, un peu plus humain passe et demande la même chose, mais il n’osait plus répondre, à force de promesses, il répondit ; alors lui tendant une corde, le retira de la citerne, l’emmena chez lui trois mois, puis lui dit ; si vous voulez retourner en ville, vous le pouvez, mais avec un nom Turc et un turban autour de la tête, afin de n’être pas reconnu, en effet il rentra à Mardine, sa mère son frère et sa sœur étaient éxilés, lui se fit passer pour Turc, il pu avec le temps savoir ce que sa famille était devenue. Et c’est lui-même qui m’a raconté son histoire. J’ai vu son bras cassé.
Le sadisme d’un turc
Encore un petit trait que je ne puis soustraire. Il y avait tout près de notre quartier, un Turc qui avait pris une petite fille Arménienne d’Erzeroum âgée de huit ans, ce cruel barbare prenait plaisir de lui arracher les ongles des pieds et des mains, puis il lui mettait de la pommade pour la guérir et lorsque c’était guéri et que les ongles repoussaient, il recommençait l’opération, et fit cela 3 fois. Alors il lui fut demandé pourquoi il agissait ainsi envers cet enfant ? il répondit que c’était pour avoir le plaisir de voir souffrir une chrétienne. Voilà leur cruauté infernalle le nom n’est pas assez fort pour le dire.
Le typhus vient à bout des soldats massacreurs
Au courant de cette même année le typhus fit un ravage épouvantable. Comme la ville et les principales maisons Arméniennes étaient envahies de soldats, tous les jours il en mourait 80 à 90. De grand matin les convois commençaient de toutes parts. Ils dépouillaient les soldats de leurs vêtements, les pôsaient sur un brancard tout nus 4 l’un sur l’autre entremêlant la tête des uns sur les pieds des autres, et celui de dessus était en agonie ; ils disaient qu’il avait le temps de mourir pendant le parcours. Puis ils avaient creusé dès la veille un souterrain aussi long que possible et ils y jetaient ces pauvres malheureux, tous les uns sur les autres et les recouvraient plus ou moins de terre, si bien que le quartier à côté d’eux ne pouvait supporter cette odeur infecte des cadâvres. Sans compter ces soldats morts dans la ville, tous ceux qui ont fait les massacres dans cette ville, ils étaient 2500 barbares, au bout de 2 ans ils n’étaient plus que 200 tous sont morts comme des enragés, ne voyant que du sang et aboyant comme des chiens. Dieu est juste.
Le retour à Ourfa
Nous voici en juin 1916, je voudrais bien rentrer à Orfa, auprès de nos sœurs, mais dans combien de dangers, je me jette. Enfin voici un Turc d’Alep qui vient de la part du Consul pour emmener une Demoiselle Américaine, alors je vais le trouver, fais sa connaissance, lui disant que j’étais Chaldéénne et religieuse et que je voulais partir pour Orfa. Alors il me promit sa protection et il a été fidèle. Alors je part comptant sur le Bon Dieu. Arrivée à Ras-el-Ayn on me vola mon sac de provisions, puis on m’arrèta comme Arménienne et on voulait me renvoyer à Mardine en prison. Voyant cela, je me dirige vers le Maire du village (d’après le conseil de mon guide) je lui expose mon affaire et lui dis que j’étais Chaldéénne et que je voulais aller à Alep pour trouver une place. Après bien des questions et un bakchich aux policiers je pus partir. Mais arrivée à Alep on me conduit à la police, là on m’emprisonne un jour et 2 nuits, oh ! qu’elles ont été terribles ces nuits. Enfin je sortis de là et je passais un mois chez M. Poche. Puis je pu avoir mon passe-port pour Orfa, je partis avec un de nos Pères et dans ce voyage aussi, Dieu m’a délivré de beaucoup de dangers et Il m’a tiré de la gueule du lion Turc qui aurait bien voulu m’anéantir.
Je ne puis parler des villages d’allentour de Mardin, ils ont étés mis tous à feu et à sang, ce sont des horreurs qu’on ne peut dépeindre. Enfin voici, je puis le dire un faible abrégé d’un grand récit, dont toutes les circonstances et les coups resteront bien gravés dans nos cœurs jusqu’à la mort, et surtout la perte de nos chères familles. Pour moi seule j’en ai perdu une quarantaine tant éxilés que massacrés. Mamdouh Bek, a été cruel, mais ceux qui éxécutèrent les ordres ont été plus féroces que lui. Et tous ces faits je les ai vus de mes yeux, ou je suis allé trouver les personnes qui en ont été témoins. Puisse le Bon Dieu, convertir ces malheureux ennemis de la foi et nous réunir un jour à nos chers martyrs.
Une religieuse franciscaine, originaire de Mardine