Né à Mardine en 1895, Arménien catholique, déporté avec ses compatriotes, il raconte les horreurs subies en route, surtout par les femmes. Il est l’un des 25 témoins au procès diocésain de Mgr. Ignace Maloyan. Il fut interrogé par Mgr. Joseph Djennandji, évêque de Kamichli des Arméniens catholiques, en 1966.
Après la déportation de l’Archevêque Ignace Maloyan, de ses prêtres et des notables de sa communauté, le gouvernement turc ordonna aux Arméniens qui restaient à Mardine, vieux, femmes et enfants de la quitter en groupes. Je pus prendre la fuite avec eux. Notre groupe composé de cinq cents ou de six cents personnes arriva à Ras-el-Ayn. De là, on nous obligea à prendre la route de Deir-Ezzour. En route, les soldats et les Kurdes frappaient et pillaient tout ce qu’ils pouvaient. Les retardataires étaient mis à mort.
En 1916, j’étais au village de Chaddadé, sur le fleuve Khabour. Là, j’ai vu une scène horrible. Un groupe d’Arméniens d’environ mille personnes : hommes, femmes, enfants et quelques prêtres, venant de Deir-Ezzour, la milice les avait laissés trois jours sans nourriture ni besoin à la montagne dite Alhamma. Et les ennemis de la religion leur avaient pillé tout ce qu’ils avaient, même leurs habits, de sorte que je les ai vus tous nus dans un état pitoyable.
Et je me rappelle qu’un soldat Tchété 1 m’a raconté en 1916 ce fait. Les soldats éloignaient les Arméniens, groupe par groupe, et les tuaient. Il y avait parmi ces Arméniens une jeune fille belle ; le chef des soldats Djadjan la voulait pour femme. Il lui proposa cela, en lui disant qu’elle échapperait ainsi à la mort. Elle lui répondit qu’elle préférait la mort pour le Christ à cette action. Il voulu alors l’enlever de force. Mais elle réussit à s’échapper et, courageusement, alla se jeter dans une citerne où d’autres victimes gisaient. Alors, le Djandjan lui donna un coup de revolver et la tua.
J’ai vu aussi cette scène douloureuse à Chaddadé : Une femme arménienne portait son petit enfant dans ses bras. Et voilà qu’un cavalier Charkass qui passe la fait tomber par terre avec son bébé, et les a mis en pièces sous les sabots de son cheval.
Kamichli, le 15 mars 1966
1 C’est une organisation spéciale connue sous le nom de « Techkilat Mahsoussi » (Unités spéciales) qui était chargée de surveiller l’exécution du plan des massacres, tracer les trajets à faire parcourir aux déportés, étudier les manières et moyens de massacres… Elle formait le bras exécutif de la milice « Khamsine » qui était chargée d’assurer la garde des villes, de rassembler les déportés et les convoyer loin dans les montagnes et les déserts. (Cf. Hyacinthe Simon, Mardine la ville héroïque, p. 38 ; Les Mémoires de Mgr. Jean Naslian, p. 52 ; Collectanea 29-30, Franciscan Centre of Christian Oriental Studies, Cairo-Jerusalem, 1998, p. 115, note 3).