Né en 1900, Arménien catholique de Mardine, élève de Mgr. Maloyan, il fut épargné grâce à son métier de tailleur de pierre. Il arrive à recueillir le témoignage de Nouri, un des bourreaux, et celui d’un Kurde. Il est l’un des 25 témoins au procès diocésain de Mgr. Ignace Maloyan. Il fut interrogé par S. B. le Patriarche Ignace Pierre XVI Batanian des Arméniens catholiques, à Beyrouth , en 1966.
Q. Présentez-vous.
R. Je m’appelle Elias Bédo, fils de Nasri Bédo et de Haddo Saané, âgé de soixante-dix ans, né à Mardine, Arménien Catholique, domicilié actuellement à Alep, dans le Quartier Azizié.
Q. Que savez-vous au sujet de la vie du serviteur de Dieu Mgr. Maloyan et au sujet de sa formation ?
R. Il avait une vie exemplaire. J’étais à l’école. Il nous donnait la meilleure impression.
Q. Que savez-vous au sujet de ses vertus ?
R. Étant élève à l’école, j’étais toujours très édifié et touché par les exhortations qu’il nous donnait de temps à autre et par les vertus qu’il nous inspirait. Quant à sa renommée parmi la population, elle était excellente, si bien que tous les fidèles l’adoraient presque.
Q. Comment est-il mort ?
R. À la Fête-Dieu de 1915, il a fait un sermon qui a profondément ému les fidèles. Il les a exhortés à être forts dans la Foi. À la suite de la messe de ce jour, on est venu arrêter Mgr. Maloyan. J’ai appris que Mamdouh Bey était venu lui-même avec une suite arrêter Mgr. Maloyan et quelques notables, Antoun Kaspo, Skandar Adam. Le lendemain, on a arrêté les fils de Iskander Adam, Ghosto et Chawki, ensuite Fattouh Kandir et d’autres. Les jours suivants on a arrêté de nombreux autres, jusqu’au mardi suivant. Mgr. Maloyan était gardé dans la prison au-dessous du Sérail avec quelques notables. Et j’ai appris alors que l’on battait continuellement Mgr. Maloyan qui, malgré cela, encourageait ses compagnons en leur disant : « C’est le jour du Christ. Soyons forts dans la Foi ». J’ai appris ces choses-là des gardiens eux-mêmes de la prison et d’autres personnes, que j’ai rencontrées à ma rentrée des déportations.
J’ai été en effet déporté et je suis rentré à Mardine, trois mois après, c’est à dire au mois de décembre 1915. Et à cause de mon métier de carrier, on m’a laissé libre, car on avait besoin des gens de notre métier ; et ceci m’a donné l’occasion d’entrer en relation avec beaucoup de personnes, musulmanes même, qui étaient des témoins oculaires de ce qui s’était passé. Entre autres, un gendarme nommé le caporal Nouri, qui avait fait souffrir énormément Mgr. Maloyan en prison, en le frappant continuellement pour le forcer à dire où il avait caché les armes. Mgr. Maloyan lui répondait qu’il n’avait pas d’armes et lui demandait pourquoi il le traitait de cette manière en lui disant : « Vous ne craignez pas Dieu » ?
Ce même Nouri avait enlevé une femme arménienne dont il avait eu un enfant. Une nuit, l’enfant pleurait beaucoup ; il devait avoir deux ou trois ans. Nouri dit à la mère de l’enfant de le prendre dehors. À peine étaient-ils dehors dans la cour qu’un rocher se détache du bas de la citadelle, et vient démolir la chambre où se trouvait Nouri qui a été enseveli sous les décombres. Tous ont dit que c’est le châtiment de ce qu’il a fait à Mgr. Maloyan. Et ceci est sûr, car Gergés Sami qui était maître carrier et sous la main de qui je travaillais, a été chargé de mettre en pièces le rocher tombé.
Le mardi, la déportation a commencé. Mgr. Maloyan et quelques centaines entre prêtres et fidèles, gardés par les gendarmes, ont été dirigés vers Diarbakr, et massacrés à des endroits appelés Akhrachiké, Kaniyébigné, Aïn Omar Agha et enfin Kalaat Zirzawane. Le plus grand massacre a eu lieu dans cette dernière localité. J’avais entendu beaucoup de détails sur ce qui s’était passé durant cette déportation, et sur les massacres qui avaient eu lieu.
En 1927 j’ai été travailler à Kaniébégné, près de Kalaat Zirzawane. Et là, j’ai fait la connaissance d’un kurde dont le nom, autant que je me rappelle, était Osman. Un jour, assis ensemble, il regarda le monticule de Kalaat Zirzawane et me dit :
« Si vous saviez ce qui s’est passé là-bas, quand on y a déporté et massacré l’évêque Maloyan et ses compagnons ! Mgr. Maloyan s’apercevant qu’on allait les tuer, demanda qu’on les écarte de la route principale, et là il commença à les exhorter d’une manière très ardente, à les encourager et à leur dire : “C’est le jour du Seigneur”. Puis il prit du pain, le bénit et leur donna. À ce moment, dit le Kurde, une espèce de nuée nous a couverts et a produit une lumière. À la disparition de cette lumière, Mgr. Maloyan a dit a tous les présents : “Soyez courageux, Dieu est avec nous”. On les a mis en groupes et on les exécuta. Mgr. Maloyan fut horriblement torturé, au point qu’il tomba par terre. C’est alors qu’on l’exécuta par balle ».
Q. Sont-ils morts pour leur foi dans le Christ ?
R. Certainement, car s’ils avaient renié cette foi, ils auraient été épargnés.
Q. Avant de les exécuter, leur a-t-on proposé de renier leur foi ?
R. J’ai entendu des kurdes qui les avaient accompagnés qu’une telle proposition a été faite, et qu’elle avait été rejetée.
Q. Quelle a été leur attitude à l’égard de leurs bourreaux ?
R. Leur attitude a été une attitude charitable.
Q. Y a-t-il eu des signes miraculeux après la mort de Mgr. Maloyan?
R. Je n’ai rien entendu à ce sujet.
Q. Est-il reconnu comme martyr ?
R. Tous ceux qui ont eu part dans son arrestation, sa déportation et son exécution avouent qu’il est mort pour sa foi. Et chose extraordinaire, toutes ces personnes qui ont participé aux tortures ont eu des châtiments, soit par des maladies, soit par des morts subites ou par d’autres malheurs. Et ceux qui étaient au courant de ce qu’ils avaient fait disaient : « C’est le châtiment de leurs méfaits à l’égard de Mgr. Maloyan ».
Q. Avez-vous quelque chose à ajouter, à retirer ou à modifier ?
R. Je répète que j’ai vécu parmi ces gens qui ont torturé Mgr. Maloyan, ou ceux qui les ont connus. Tous me disaient : « C’est un vrai confesseur de sa foi pour laquelle il est mort ».