Léonard et ses compagnons offrent leur vie par amour pour Jésus Christ et fidélité à la sainte Église catholique
1. Preuves du Martyre
Nous allons démontrer que, pour les Turcs, le P. Léonard ainsi que tous les autres chrétiens Arméniens, Chaldéens, Syriaques catholiques, Syriaques orthodoxes et Protestants ont été massacrés en leur qualité de chrétiens et donc par haine de la Foi. Mgr. Jean Naslian développe ce thème dans de longues pages, appuyé de documents nombreux, impossibles à reproduire dans ce chapitre. Nous nous contenterons de quelques extraits :
• Une grande partie du comité Jeune-Turc procède du point de vue que l’Empire turc doit être construit sur une base purement musulmane et pan-turque. Les habitants non musulmans et non turcs de l’État doivent être islamisés et turquifiés par la force et là où cela n’est pas possible, exterminés. Le temps actuel semble à ces Messieurs le plus propice pour la réalisation de ce plan. Le premier point de leur programme comportait la liquidation des Arméniens.1
• Il ne s’agit de rien moins que de la destruction ou de l’islamisation par force de tout un peuple.2
• Lepsius, l’enquêteur scrupuleux qui osa, le premier, se documenter sur les massacres, décrivant la mauvaise foi turque dit : « La question de savoir si un Arménien est coupable ou non, si l’on a contre lui des soupçons de crimes contre l’État, s’il est convaincu ou non de fautes devant un tribunal régulier, n’existe pas pour la conscience d’un Mahométan ».3
Le P. Jacques Rhétoré est tranchant :
Je viens de dire que cette persécution n’était pas seulement politique mais aussi religieuse. On pourra en juger de nouveau par ce qui fut fait dans les prisons de Mardine. Les prisonniers dont nous nous occupons pour le moment ont raconté que leurs geôliers leur arrachaient brutalement tous les signes religieux qu’ils voyaient sur eux, blasphémaient ces signes, les foulaient aux pieds. Ils faisaient même subir, en esprit de moquerie, le supplice de la crucifixion, en n’omettant aucune de ses particularités, de sorte qu’on aurait pu croire que ces mécréants, avant d’opérer, avaient étudié l’Évangile. Un vieux prêtre arménien catholique d’Angora était fouillé par les soldats de son convoi pour lui prendre l’argent qu’ils croyaient être sur lui ; ils voient un crucifix de cuivre suspendu à son cou : « Comment, lui disent-ils, à ton âge, tu adores encore ces choses ? — Oui, répondit le prêtre, et c’est pour cette chose que nous mourons ». On le tua sur cette parole.4
2. Analyse des Méthodes
De fait, le gouvernement central avait déjà décidé l’anéantissement des chrétiens. Le Dictionnaire d’Histoire et de Géographie ecclésiastiques analyse la décision de la manière suivante :
Les Ottomans en revinrent vite à la poursuite du programme traditionnel :
1) Subordination des autres nationalités à la race turque.
2) Domination absolue de l’Islam sur tous les éléments non musulmans.
En un mot « panturquisme », mitigé par le « panislamisme ». Les chrétiens, et d’abord les Arméniens, ne pouvant être assimilés aux musulmans, devaient disparaître, et d’autant plus justement qu’ils avaient fait appel contre la Turquie aux puissances chrétiennes.
Mais, si des consciences peu scrupuleuses croyaient avoir le droit d’immoler sans jugement les agitateurs s’élevant à quelques milliers d’hommes, à quel titre exterminerait-on avec eux, des centaines de milliers de femmes, d’enfants, de vieillards, de personnes inoffensives ? « Qu’à cela ne tienne », s’écriait un officier, « notre prophète Mahomet avait déjà répondu à un fidèle qui soulevait la même objection : Si tu es piqué par une puce, est-ce que tu ne les tues pas toutes ? »
Talaat Bey, le puissant ministre de l’Intérieur, le principal organisateur des derniers massacres, disait avec un cynisme un peu plus voilé : « N’épargnez pas les petits enfants parce que, en grandissant, ils peuvent devenir révolutionnaires. Recueillez les seuls orphelins qui ne peuvent se souvenir ». En principe, cependant, le massacre devait se limiter aux hommes. Aux femmes et aux enfants étaient réservés la déportation et le régime de l’islam.5
3. Islamisation forcée
L’ordre à embrasser l’Islam pour rester en vie a été proposée plusieurs fois au P. Léonard. Elle revient comme un refrain pour tous ses compagnons. Nous ne présenterons pas les nombreuses études qui prouvent la détermination des Turcs de nettoyer la présence chrétienne chez eux, à moins que les chrétiens n’acceptent d’embrasser l’Islam. Nous nous contenterons de citer quelques extraits d’interrogatoires auprès du Tribunal Ecclésiastique du procès de Mgr. Ignace Maloyan ainsi que quelques documents et articles :
Buste du Bienheureux Ignace Maloyan surmontant une stèle commémorative (Couvent de Bzommar – Liban)
• Déposition du cardinal Ignace Gabriel Tappouni, présent à Mardine le 11 juin 1915
Q. : Votre Eminence croit-elle que le cas de Mgr. Maloyan était le cas d’un martyr ?
R. : Certainement. En mon opinion c’est le cas de tous ceux qui ont été massacrés parmi la population de Mardine ; de sorte que les Pères Dominicains, c’est-à-dire le P. Berré, supérieur de la Mission de Mossoul, le P. Rhétoré et le P. Simon, qui étaient chez moi durant leur exil de Mossoul, ne cessaient de dire que Mardine est la ville des martyrs. Ils avaient, en effet, assisté à tous les massacres de Mardine et ses environs.
À l’appui de ce que je viens de dire, j’ajoute que quelques familles chrétiennes, alléchées malheureusement par les appels des musulmans à se faire musulmanes pour avoir la vie sauve, ont apostasié effectivement et ont eu la vie sauve et des égards de la part des musulmans. Ces familles n’étaient que trois ou quatre et qui, après la guerre, se sont repenties et sont retournées à la Foi. Ce seul fait prouve assez que ceux qui sont morts, ont donné leur vie pour rester fidèles à leur Foi chrétienne. Le cas concerne tous les Catholiques des différentes communautés de Mardine.
Stèle commémorative du Bienheureux Ignace Maloyan (Couvent de Bzommar – Liban)
• Témoignage de Mgr. Joseph Rabbani, déporté survivant du deuxième convoi
Q. : Avez-vous entendu qu’on leur avait proposé de devenir musulmans pour être sauvés?
R. : Je n’ai rien entendu de pareil. Cependant, même si l’on prétend que pour des raisons politiques on traitait ces personnes en les exécutant, il n’est pas possible d’écarter le motif de la religion, car, si on pouvait prétendre avoir une raison politique pour les Arméniens, il faut nécessairement inclure aussi la raison de la religion chrétienne, car il y avait aussi d’autres personnes qui n’étaient pas arméniennes (comme des Syriens et des Chaldéens et d’autres) qui ont subi le même sort, parce que chrétiens.
Q. : Sont-ils morts pour le Christ et pour professer leur foi chrétienne ?
R. : Nous ne savons pas si on leur a proposé de renier le Christ ou la Foi chrétienne, mais ces victimes savaient bien qu’on allait les tuer parce qu’ils étaient Chrétiens, et ils ont accepté volontiers la mort.
Q. : Après la mort de Mgr. Maloyan, avez-vous entendu que des choses extraordinaires s’étaient passées à sa mort ?
R. : Je n’ai rien entendu de particulier, cependant l’opinion générale des Chrétiens était que lui et ses compagnons étaient morts en martyrs.
• Témoignage de Elias Nazar, soldat dans l’armée turque
Je me rappelle que quand ils nous ont fait sortir de prison pour nous amener à Zennar, les gardiens nous disaient : « Changez vos noms en des noms musulmans et soyez musulmans et vous serez sauvés ». Moi-même j’ai répondu : « Comment ! Vous avez tué mon père et ma mère et vous me proposez de devenir musulman ? Jamais de la vie » .
• Témoignage de Faridé Mengalo Ghandoura
Q. : Leur a-t-il été proposé de renier leur religion ?
R. : Oui. On leur a dit « Devenez musulmans, et nous vous sauverons ». Ils ont répondu : « Aujourd’hui c’est le jour du Christ. Torturez-nous tant que vous voulez ».
Q. : Quelle était l’opinion publique après cette tuerie ? Que croyaient les gens qui avaient survécu ?
R. : Les gens croyaient qu’ils étaient morts pour rester Chrétiens. Ils sont morts dans leur Foi pour ne pas renier le Christ.
• Récit de Khalil Makké et autres musulmans, dans le témoignage de Sophie Youné
J’étais à Véranchéhir en 1915 quand le nommé Makké Khalil dit à mon premier mari Fardjallah Rakhtaouan : « Si toi et ta famille embrassez la religion musulmane, je vous sauverai de la mort ». Personne d’entre nous n’accepta cette proposition.
Mon premier mari étant caissier au gouvernement, d’autres musulmans aussi lui ont fait, ainsi qu’à sa famille, la même proposition que nous avons refusée.
Puis les gendarmes ont amené mon mari avec les autres Chrétiens au village nommé Hafdemari, où ils les ont tués.
En ces jours aussi, les gendarmes ont réuni un groupe d’environ quatre cent cinquante Chrétiens, parmi lesquels était mon père Habib Youné. Certains musulmans m’ont dit après, que le chef du gouvernement avait alors proposé à mon père de se faire musulman afin de le sauver de la mort. Mais lui avait refusé cela. Et il fut tué avec les autres.
Notre curé de Véranchéhir, le Père Sahak Holozo a été conduit par les gendarmes à Kharpout et là, comme certains musulmans m’ont raconté, l’autorité civile lui proposa de se faire musulman pour lui sauver la vie. Mais lui refusa cela et fut tué.
De même j’ai entendu de certains musulmans raconter qu’ils ont proposé à Jean Kekhoua et à sa sœur Marthe (Arméniens Catholiques) de se faire musulmans. Ce qu’ils refusèrent. Puis ils furent tués avec les autres martyrs.
• Récit du bourreau Hamouda, dans le témoignage de Zakié Toumadjian
Q. : Que savez-vous au sujet de Saïd, Youssef et Karkour ?
R. : Ces trois se trouvaient dans le convoi des déportations ; lorsque ma mère les a vus, elle courut derrière le convoi et se mit à les appeler. Ils répondirent : « Ma soeur, allez-vous-en, allez-vous-en ; la terre d’ici bas ne vaut rien, peu après nous aurons la couronne de la gloire ». C’étaient leurs dernières paroles. Celui qui les a tués, qui s’appelle Hamouda, est retourné et est entré chez nous et dit à mon père : « Nous nous sommes beaucoup fatigués en tuant ces infidèles, servez-moi le déjeuner ». Ma mère refusa, mais mon père insista en disant : « Servez-lui le déjeuner pour la gloire de Dieu ». Pendant qu’il mangeait, ma mère pleurait sur ses frères.
Q. : Que savez-vous au sujet de Amsih Kerko ?
R. : Amsih vivait à Erzéroum comme soldat attaché au service du lieutenant. Lorsque l’ordre de saisir les Arméniens et de les tuer fut donné, le lieutenant lui proposa de devenir musulman. Il refusa en disant : « Je vis et je meurs dans la religion du Christ ». Alors il tira sur lui.
• Récit du soldat Bacho-el-Sarraj, dans le témoignage de Toufic Ghisso
Le nommé Bacho-el-Sarraj, habillé en militaire, est venu chez nous à la maison. Il avait travaillé comme manœuvre chez mon père. Il nous dit en secret qu’il était un des cinquante soldats qui avaient conduit l’Archevêque Maloyan et son groupe hors de Mardine. Puis je l’entendis raconter à mon père ce qui suit :
« Nous avons lié les Chrétiens quatre à quatre et nous avons mis au cou de l’archevêque et des notables de lourds barreaux de fer. Ainsi nous les avons conduits hors de Mardine, en direction de Diarbakr, à l’endroit nommé Aderechek, près de Cheikhane. Puis nous avons réuni les Kurdes de la localité pour nous aider à tuer tous ces gens.
Le chef gendarme adressa de nouveau la parole à l’archevêque Maloyan lui proposant de renier sa religion et d’embrasser l’Islam, pour le nommer leur chef religieux (Cheikh). Il refusa sa demande et dit qu’il était prêt à mourir pour la religion du Christ. Puis l’archevêque demanda au chef gendarme la permission d’adresser quelques paroles à ses fidèles. Il le lui permit. Alors l’archevêque dit à ses fils : “Aujourd’hui nous sommes invités aux noces chez le Christ, et dans une heure nous serons à sa table”. Puis il demanda du pain, on le lui donna. Il pria sur ce pain, et en donna à chacun de ses compagnons. Après quoi il dit au chef gendarme : “J’ai terminé”.
Alors, nous avons commencé à tuer tous les Chrétiens là présents. Quand arriva le tour de l’évêque, on lui cassa l’épaule ; puis on lui proposa de renier sa religion. Ce qu’il refusa. On lui cassa la deuxième épaule, et on lui adressa la même demande. Mais il resta ferme dans sa foi. Et alors on l’assomma et le tua, pendant qu’il répétait : “Je vis et meurs en la religion du Christ” ».
• Récit du bourreau Nouri, dans le témoignage de Jamil Sioufdji
Q. : Comment eut lieu leur martyre ?
R. : M. Noury, celui qui tua l’évêque Maloyan, me décrivit son supplice comme suit :
« Je reçu les ordres de Mamdouh Bey et de Haroun Bey, qui eux-mêmes les avaient reçus du Sultan Rachad, ordonnant d’éloigner de Mardine les Arméniens. Mais Mamdouh et Haroun m’avaient ordonné de tuer ceux que j’éloignerais de Mardine, parce qu’ils sont Chrétiens infidèles. J’ai déporté l’Evêque Maloyan avec plus de cent de ses ouailles, tous des hommes, à la citadelle Zirzawane.
À notre arrivée là-bas, l’évêque me demanda de lui accorder une demi-heure de temps pour prier, je la lui ai donnée. Alors, il prit un pain sur lequel je l’ai vu prier, puis il distribua à ceux qui étaient avec lui, et ensuite il dit à ses compagnons : “Nous allons maintenant aux noces du Christ ; soyez forts dans votre foi” ; puis il se tourna vers moi et dit : “Fais ce que tu veux”. À ce moment-là, j’ai ordonné de les tuer tous. L’Évêque restait. Je lui ai proposé d’embrasser l’Islam pour que je le laisse en vie. Il refusa et me dit : “J’ai vécu dans la religion du Christ et je ne changerai pas, fais ce que tu veux”. À ce moment-là, j’ai tiré sur lui vingt cinq balles ».
• Récit de Cheikh Bacho, dans le témoignage de Mikhaël Ghandoura
Mgr. Maloyan, qui avait, avec ses compagnons, les fers aux mains, aux pieds et au cou, n’en pouvant plus, tomba par terre. Un gendarme lui donna un coup sur le côté en lui disant : « N’auriez-vous pas mieux fait de devenir musulman et de vous sauver de cet état ? Nous vous aurions fait un Imam ». Mgr. Maloyan le fixe du regard avec dédain et lui dit : « Nous sommes les moutons du Christ, et le rouge que nous portons n’est qu’un signe de notre volonté de verser notre sang pour le Christ ».
• Récit des soldats Arso Rachek et Hassan Aliké, dans le témoignage de Wardé Katmarji
On leur a proposé, pendant toutes les tortures qu’on leur a fait subir, de renier leur foi et de devenir musulmans. Ils ont catégoriquement refusé… Avant de les tuer à Cheikhane, ils leurs ont proposé de renier leur foi chrétienne. Ils ont répondu : « Nous voulons vivre et mourir dans notre foi chrétienne. Et nous acceptons tout ce qui vient du Ciel ».
• Récit de Hassan Madé, dans le témoignage de Elias Barich
Nous habitions la maison d’un musulman, nommé Hassan Madé, qui proposa à mon père Joseph de lui donner ma soeur en épouse ; et en compensation, il promettait de nous sauver de l’émigration et de la mort. Mon pieux père lui répondit : « Je préfère voir tous mes enfants coupés en morceaux devant moi que de consentir à un tel crime ».
À la fin du mois de juin ou au début de juillet 1915, la milice fit sortir de Mardine un groupe de Chrétiens, hommes, femmes et enfants, environ cinq cents personnes. Nous, les restants de la famille, étions avec eux.
Près de Ras-el-Ayn, un grand nombre parmi nous furent massacrés. Il en restait des petits et des jeunes filles. Et je me rappelle que trois Kurdes se sont battus pour qui pourra ravir ma sœur Bahia, âgée de treize ans. Deux d’entre eux furent tués. Et quand le troisième a voulu la ravir, elle refusa sa demande disant : « Je vis et je meurs pour la religion du Christ ». Alors le Kurde la frappa de son poignard et elle tomba morte pour le Christ.
• Récit d’un soldat Tchété, dans le témoignage de Daoud Nadjar
Et je me rappelle qu’un soldat Tchété m’a raconté en 1916 ce fait. Les soldats éloignaient les Arméniens groupe par groupe et les tuaient. Il y avait parmi ces Arméniens une jeune fille belle ; le chef des soldats Djadjan la voulait pour femme. Il lui proposa cela en lui disant qu’elle échapperait ainsi à la mort. Elle lui répondit qu’elle préférait la mort pour le Christ à cette action. Il voulut alors l’enlever de force. Mais elle réussit à s’échapper et, courageusement, alla se jeter dans une citerne où d’autres victimes gisaient. Alors, le Djadjan lui donna un coup de revolver et la tua.
• Récit de Ahmed Kasso Rachek et Cheikh Bacho, dans le témoignage de Gabriel Bedros
On devait conduire Mgr. Maloyan et ceux qui étaient avec lui au supplice… Arrivés là, l’évêque demande aux soldats de parler à ses fidèles. Il les encourage à mourir pour le Christ. Il se fait donner du pain qu’il consacre et distribue à ses compagnons. Ces choses-là ont été racontées par les gens qui avaient accompagné le convoi, dont la famille de Ahmed Kasso Rachek, entre autres par Cheikh Bacho. Je les ai entendus de mes propres oreilles. Ils disaient : « Nous nous sommes demandés où avaient disparu ces gens ». Soudain une voix nous arrive : « Nous sommes ici, nous prions ».
Q. : Est-ce que on a proposé à Mgr. Maloyan et à ses compagnons de renier leur Foi ?
R. : Oui, et surtout à l’évêque qu’ils ont même qualifié d’entêté. Ils ont tué tous les prêtres et les fidèles et puis l’évêque, et ils les ont jetés dans un puits.
• Récit du caporal Nouri et du Kurde Osman, dans le témoignage de Elias Bédo
J’ai été en effet déporté et je suis rentré à Mardine, trois mois après, c’est à dire au mois de décembre 1915. Et à cause de mon métier de carrier, on m’a laissé libre, car on avait besoin des gens de notre métier ; et ceci m’a donné l’occasion d’entrer en relation avec beaucoup de personnes, musulmanes même, qui étaient des témoins oculaires de ce qui s’était passé. Entre autres, un gendarme nommé le caporal Nouri avait fait souffrir énormément Mgr. Maloyan en prison en le frappant continuellement pour le forcer à dire où il avait caché les armes. Mgr. Maloyan lui répondait qu’il n’avait pas d’armes et lui demandait pourquoi il le traitait de cette manière en lui disant : « Vous ne craignez pas Dieu ? »…
J’avais entendu beaucoup de détails sur ce qui s’était passé durant cette déportation, et sur les massacres qui avaient eu lieu. En 1927, j’ai été travailler à Kaniébégné, près de Kalaat Zirzawane. Et là, j’ai fait la connaissance d’un kurde dont le nom, autant que je me rappelle, était Osman. Un jour, assis ensemble, il regarda le monticule de Kalaat Zirzawane et me dit : « Si vous saviez ce qui s’est passé là-bas, quand on y a déporté et massacré l’évêque Maloyan et ses compagnons ! Mgr. Maloyan s’apercevant qu’on allait les tuer, demanda qu’on les écarte de la route principale, et là il commença à les exhorter d’une manière très ardente, à les encourager et à leur dire : “C’est le jour du Seigneur”. Puis il prit du pain, le bénit et leur donna. À ce moment, dit le Kurde, une espèce de nuée nous a couverts et a produit une lumière. À la disparition de cette lumière, Mgr. Maloyan a dit à tous les présents : “Soyez courageux, Dieu est avec nous”. On les a mis en groupes et on les exécuta. Mgr. Maloyan fut horriblement torturé, au point qu’il tomba par terre. C’est alors qu’on l’exécuta par balle ».
Q. : Sont-ils morts pour leur foi dans le Christ ?
R. : Certainement, car s’ils avaient renié cette foi, ils auraient été épargnés.
Q. : Avant de les exécuter, leur a-t-on proposé de renier leur foi ?
R. : J’ai entendu des kurdes qui les avaient accompagnés qu’une telle proposition a été faite, et qu’elle avait été rejetée.
• Recueil de Témoignages du P. Jacques Rhétoré
À cette longue liste nous pouvons en ajouter une dernière, prise dans le livre du P. Rhétoré. Ce sont des pages entières que nous aurions à citer. Elles donnent toutes le même son de cloche. Nous en retenons quelques unes :
– Raïs Berro, chef de village jacobite, arrêté avec cinquante notables s’entend dire : « Le Padichah a donné un firman contre les chrétiens et je dois vous tuer à moins que vous ne deveniez musulman ». Raïs Berro déclara nettement qu’il ne se ferait pas musulman parce que le Christ ne lui avait jamais fait de mal pour qu’il songe à l’abandonner maintenant. Il fut exécuté.6
– Une parente de Mgr. Maloyan, échappée à la mort, a raconté qu’on proposa néanmoins la vie sauve à toutes les femmes du convoi si elles embrassaient l’islamisme. C’est une formalité que la religion musulmane impose aux vrais croyants avant de frapper un infidèle à mort, ils en font ensuite ce qu’ils veulent. Toutes les convoyées refusèrent la proposition et le massacre commença.7
– Marro Tapik, avant d’être tuée, s’entendit dire : « Déclare que tu acceptes l’islamisme, tu seras à nous et tu seras sauvée ». « Jamais, répondit Marro, jamais je n’accepterai l’islamisme et je ne veux pas être à vous»… Elle se jette dans la citerne en disant : « Jamais vous ne m’aurez »… Ils assouvirent du moins leur rage et, à coups de fusil, ils l’achevèrent sur le tas de cadavres où elle était tombée.8
– Une jeune femme de Mardine, vendue à un musulman, reçut de lui la proposition d’être sa femme. Elle répondit « J’ai donné ma parole à mon mari devant Dieu et je ne puis le trahir. Je trahirai aussi Dieu et ma religion en acceptant l’islamisme ». Finalement elle arriva à s’enfuir.9
– Les massacreurs vinrent chez un chef kurde, Khalil Agha, pour achever une trentaine de chrétiens réfugiés chez lui. Khalil Agha leur dit : « Ces chrétiens sont mes hommes. Vous n’avez donc rien à voir ici ». « Au moins, reprirent les massacreurs, obligez-les à se faire musulmans ».10
– À Gulié, les chefs de la prison dirent à des chrétiens arrêtés : « Faites-vous musulmans, ou bien vous mourrez ». « Mourir, dit le père, nous ne le voudrions pas, mais pourtant nous ne voulons pas nous faire musulmans ». Ils furent torturés.11
– L’abbé Augustin Murdjani, curé de Mansourieh des Chaldéens fut envoyé pour exhorter ses paroissiens à devenir musulmans. Il rassembla aussitôt tout son peuple à l’église et l’exhorta très chaudement à rester fidèle au Christ. La plus grande partie du village fut massacrée avec son pasteur.12
– À l’Abbé Thomas Chérin, curé de Péchabour des Chaldéens, on coupa les deux bras, puis on l’écrasa à coups de pierres, après avoir été tenté de toutes manières pour accepter l’islamisme.13
– Une femme d’Erzéroum fut retenue par un soldat qui s’était promis de ne pas la laisser tuer afin de la prendre pour lui : « Tu es à moi, suis moi et tu seras sauvée ». « Moi te suivre, lui répondit l’Arménienne, moi te suivre pour devenir musulmane et perdre la couronne qu’ont déjà gagnée mes compagnons chez le Christ Notre Seigneur. Jamais cette couronne je ne la donnerai ni pour toi ni pour ton Mahomet qui vous fait commettre tant de crimes ». Le soldat vengea son espoir déçu en la poignardant de ses propres mains.14
– Dans les règles d’extermination, on avait recommandé de ne pas tuer, à moins de raisons contraires, les personnes jeunes, mais de les capturer pour la multiplication de l’Islam.15
• Récit du Père Ishac Armalé, rescapé des massacres, auteur de Al-Qouçara
Parmi tant de récits, le P. Armalé cite le cas de Georges Adam, jeune homme arménien, tertiaire de S. François. Il fut arrêté le 25 mai, dénudé complètement et battu sauvagement. Le bourreau Ali lui dit : « Je continuerai à te frapper jusqu’à ce que tu te proclames musulman ». Georges cria de toutes ses forces : « Je vis et je meurs dans la foi du Christ ».16
• Rapport du P. Marie Dominique Berré
Des bandes de Kurdes attendaient le convoi. Je m’abstiens de reproduire les horribles détails qui me furent donnés par une survivante sur les supplices qu’eurent à subir ces malheureuses victimes. Toutes, à l’exception d’une seule, refusèrent énergiquement d’embrasser l’Islamisme. Les cadavres furent jetés dans des silos et dans des puits. 17
• Rapport du P. Hyacinthe Simon
Durant ce drame rapide, la colonne des Chrétiens avait poursuivi sa marche, instruite sur le sort qu’on lui réservait. Elle parvint à Cheikhane, village kurde, situé à 6 heures de Mardine. Là, Mamdouh Bey fit arrêter le convoi et lut un soi-disant firman impérial, ainsi conçu :
« Le Gouvernement Impérial vous avait comblés de ses faveurs : liberté, égalité, fraternité, justice, emplois importants, grades honorifiques ; et cependant vous l’avez trahi. Pour cause de trahison à la Patrie Ottomane, vous êtes donc tous condamnés à mort. Celui de vous qui se fera musulman, retournera à Mardine, sain et sauf et honoré. Dans une heure vous devez être exécutés. Préparez-vous : faites votre dernière prière…». Enfin, joignant l’ironie au mensonge, il ajouta : « L’Empire vous avait accordé hier mille privilèges, il vous accorde aujourd’hui trois balles…».
Alors, S. G. Mgr. Maloyan, cardiaque et affaibli, courbé sous le double poids de la fatigue et du chagrin, redressa sa taille devant l’injure du traître qu’on lui jetait à la face et à la face de ses compagnons ; en lui l’Evêque et le citoyen firent leur devoir : L’Évêque repoussa du pied l’apostasie proposée, et le citoyen affirma sa fidélité de patriote. Il répondit donc au nom de tous. Par sa réponse, il signait son arrêt de mort et celui de ses fidèles, mais il immortalisait son nom et ses actes, ainsi que les actes et le nom de ses frères en Jésus-Christ. Il dit :
— Nous sommes entre les mains du gouvernement ; et quant à mourir, nous mourrons pour Jésus-Christ… — Pour Jésus-Christ » clamèrent ses 404 compagnons. Il ajouta : — Traîtres à la Patrie Ottomane, nous ne l’avons jamais été et nous ne le sommes pas. Mais devenir traîtres à la Religion Chrétienne, jamais. — Jamais » reprirent ses 404 compagnons. Et enfin, l’Évêque dit : — Nous mourrons, mais nous mourrons pour Jésus-Christ. — Pour Jésus-Christ, répétèrent ses 404 compagnons.18
• Récit des Pères Jésuites
On arrêtait les hommes valides, on les acheminait, disait-on, vers la ville voisine et, en route, on les massacrait. C’est ainsi qu’est mort notre Frère Jean Balian, resté dans les villages des environs de Césarée, avec deux prêtres arméniens catholiques, nos auxiliaires. On leur aurait proposé, m’a-t-on dit, de sauver leur vie en se faisant musulmans ; sur leur refus indigné, on les a tués. Ce sont des martyrs. Des martyrs, il y en a eu beaucoup, même parmi les arméniens grégoriens, non catholiques, mais de bonne foi, comme le père et la mère d’un de nos anciens élèves de Marsivan, l’abbé Indjéian converti et devenu prêtre catholique. C’est de lui-même que je le tiens. Ses parents avaient, parmi les musulmans, des amis qui voulaient les sauver : « Faites-vous inscrire comme musulmans, leur disaient-ils, ce sera une pure formalité, vous n’aurez pas à vous présenter à la mosquée, vous conserverez vos convictions religieuses. Ce sera un acte purement extérieur, mais un acte qui vous sauvera. — Non, répondirent-ils courageusement, nous sommes chrétiens, nous voulons mourir chrétiens ». Ils ont été tués tous les deux ; ce sont de vrais martyrs, morts pour la Foi.
• Déposition de Moustafa Kamal Ataturk
Moustafa Kamal lui-même, qui se vantait de n’avoir jamais trempé les mains dans le sang, tout en ne chargeant de responsabilités que quelques personnages, a fait, le 28 janvier [1920], l’aveu suivant devant la Cour Martiale :
Je me suis rendu avec obéissance à l’invitation de cette Cour constituée par décret impérial. Ceux qui me connaissent s’étonneront de ma comparution. Les Pachas qui ont perpétré ces crimes inouïs et inconvenables et qui ont ainsi entraînés le pays dans la situation présente pour assurer leurs intérêts personnels, suscitent encore des troubles. Ils ont instauré toutes sortes de tyrannie et organisé les déportations et les massacres, brûlé avec du pétrole les enfants à la mamelle, violé des femmes et des jeunes filles en présence de leurs parents garrottés et blessés, séparé les jeunes filles de leurs pères et mères, confisqué leurs biens, meubles et immeubles et les ont exilés jusqu’à Mossoul, dans un état lamentable, en exerçant toutes sortes de violences. Ils ont embarqué à bord des caïques des milliers d’innocents et les ont jetés à la mer. Ils ont fait proclamer par des hérauts la nécessité, pour les non musulmans fidèles au Gouvernement ottoman, de renier leur religion pour embrasser l’islamisme ; ils les ont contraints à cette conversion ; ils ont fait marcher des mois entiers des vieillards affamés ; ils les ont astreints à des travaux forcés. Ils ont fait jeter les jeunes femmes dans des maisons de tolérance établies dans des conditions épouvantables et sans précédent dans l’histoire d’aucune nation nation nation.19
• Article du Dictionnaire d’Histoire et de Géographie Ecclésiastique
À beaucoup de femmes, surtout aux plus jeunes et aux plus jolies, on proposa un moyen d’échapper à l’exil : c’était d’embrasser l’islamisme et de se marier, séance tenante, avec un musulman. Celles qui avaient des enfants devaient les livrer aux orphelinats du gouvernement qui les élevaient dans le culte musulman… Après le rapt des femmes et le massacre des hommes, on leur propose plusieurs fois d’embrasser l’Islam… Un des traits caractéristiques, dans les sanglants événements que nous venons d’esquisser, c’est l’invitation et, assez souvent, la contrainte morale à l’apostasie. Il semble que toute la population d’Arabkir adopta pour quelque temps l’islamisme. À Angora, les Turcs célébrèrent un anniversaire du sultan, en opérant la circoncision sur une centaine d’enfants presque tous catholiques et élevés de force dans le mahométisme. C’est surtout aux jeunes femmes qu’on offrit un peu partout d’échanger leur culte contre celui de l’islam. Quel est le nombre approximatif des apostasies, qui étaient un moyen pas toujours sûr d’échapper à la mort, et qui ne préservaient pas du déshonneur ? K. Tahmazian évalue à 60.000 le nombre des femmes enlevées.20
4. Intervention des grandes Puissances
Le monde civilisé se trouvait ainsi suffisamment saisi et ému pour provoquer une intervention des Puissances. Ce fut alors que la France, la Grande-Bretagne et la Russie se décidèrent à faire la déclaration suivante à Londres, à la date du 23 mai 1915 :
Depuis un mois environ, la population kurde et turque d’Arménie procède, de connivence et souvent avec l’appui des autorités ottomanes, au massacre des Arméniens. De tels massacres ont eu lieu à la mi-avril à Erzéroum, Terndjan, Aguine, Bitlis, Mouch, Samsoun, Zeitoun et dans toute la Cilicie. Les habitants d’une centaine de villages des environs de Van ont été assassinés et le quartier arménien est assiégé par les populations kurdes. En même temps à Constantinople, le Gouvernement ottoman a sévi contre la population inoffensive. En présence de ces nouveaux crimes de la Turquie contre l’humanité et la civilisation, les Gouvernements alliés font savoir publiquement à la Sublime Porte qu’ils tiendront personnellement responsables des dits crimes tous les membres du Gouvernement ottoman, ainsi que ceux de ses agents qui se trouveraient impliqués dans de pareils massacres.21
5. Protestation du pape Benoit XV
C’est au Souverain Pontife Benoît XV que revient l’honneur d’avoir fait entendre la voix de la justice auprès du Gouvernement ottoman. Au-dessus de tout intérêt politique et mû par la pure conscience de son devoir de Père de la Chrétienté, il avait écrit une lettre autographe au Sultan Mahomet V pour lui rappeler ses devoirs de souverain et de père de tous ses sujets dont il était tenu de sauvegarder la vie ; et il lui rappelait que s’il était en droit d’user de rigueurs envers des criminels et cela en gardant la juste proportion entre la faute et la punition, il avait en même temps l’obligation et le strict devoir de faire respecter la justice la plus loyale et la plus complète en faveur des innocents. Il n’était tout de même pas possible, voulait-il dire, que les Arméniens, qui par la religion même qu’ils professaient, étaient obligés à maintenir la fidélité envers la Personne et le Gouvernement de Sa Majesté fussent devenus tous, simultanément et en un seul jour, coupables et coupables à un degré tel qu’ils méritassent tous sans distinction d’âge et de sexe, les plus inexorables déportations et massacres dont la responsabilité retomberait sur le Chef de l’Empire ottoman.
Cette lettre du Saint-Père n’a pu être présentée au Sultan que trop tard, car elle était d’abord passée par les mains des Jeunes-Turcs qui l’estimèrent trop dure pour mériter une réponse. Les Turcs firent au délégué du pape des remarques sévères à propos de cette lettre qu’ils déclarèrent basée sur des nouvelles fausses ou tout au moins très exagérées excipant du fait qu’en temps de guerre on ne pouvait contrôler les coins reculés de l’Anatolie. Ils émirent pour l’avenir, quelques vagues promesses en faveur des survivants.
Le Souverain Pontifie ne pouvait se tenir pour satisfait de ces vagues promesses et il crut de son devoir de dénoncer au monde entier le crime de l’anéantissement de tout un peuple et il le signala, comme le plus singulier méfait de la guerre enragée, dans son Allocution au Consistoire du 6 décembre 1915. En voici les paroles textuelles :
Au bout de seize mois, malgré l’amoncellement pitoyable de tant de ruines, malgré le désir croissant de la paix dans les âmes, malgré les prières de tant de familles en pleurs pour demander la paix, bien que nous-même nous n’ayons rien négligé de ce qui était de nature à hâter la paix et à régler les différends, cette guerre désastreuse dure encore sur terre et sur mer, et voici en même temps que les malheureux Arméniens sont presque entièrement détruits. Sachez belligérants, que toute une population vient d’être traînée à la mort, pendant que vous vous obstinez à prolonger ce conflit sanglant qui obstrue toute voie de communication pour arriver au secours de malheureuses victimes, pour alléger les maux par des remèdes qui vous sont bien connus.22
6. Martyrs pour Jésus Christ et non pour une cause politique
À ceux qui penseraient encore qu’il y avait derrière les massacres un motif politique ou social et que le but du gouvernement central n’était pas d’éliminer les chrétiens, mais de punir les rebelles arméniens, nous posons ces questions :
a- Pourquoi les massacres ont englobé les Syriaques catholiques, les Jacobites et les Chaldéens qui ne sont pas Arméniens ? N’est-ce pas parce qu’ils sont chrétiens ?
b- Pourquoi n’a-t-on pas proscrits les Kurdes qui, non seulement ne sont pas Turcs, mais une race qui, jusqu’aujourd’hui, réclame l’indépendance et mène, depuis de longues années, une guerre sans merci pour se libérer du joug turc ? Ne les a-t-on pas épargnés pour la seule raison qu’ils sont musulmans ? Bien mieux, ne les a-t-on armés pour être les bourreaux des chrétiens Arméniens ?
c- Pourquoi n’a-t-on pas décidé l’extermination de la minorité « yézidis » que l’on dénomme généralement « adorateurs du diable » ? Ces yézidis se sont montrés plus humains que les adorateurs d’Allah et ont donné refuge aux fuyards chrétiens dans leurs montagnes du Sinjar.
d- Pourquoi emmener des centaines de milliers de citoyens pour être exécutés sans interrogatoire, sans jugement, sans aucune preuve de culpabilité et pour le seul fait d’être arménien ou chrétien ?
e- Pourquoi proposait-on à tous, même aux femmes, d’embrasser la religion musulmane pour avoir la vie sauve ? Et de fait, tous ceux qui, en petit nombre grâce à Dieu, ont faibli devant la menace et la torture, ont été relâchés ?
f- À la prétention du recel d’armes, en admettant même que certains arméniens avaient des fusils, pourquoi ne pas arrêter ceux-là, et pourquoi procéder indistinctement à la rafle et l’exécution des vieillards, des femmes et des tout petits enfants ?
g- Pourquoi la masse des citoyens arabes de l’empire turc, formant la presque totalité de l’Irak, de la Syrie, de la Palestine et de l’Egypte, n’a pas été inquiétée ? Ces citoyens étaient-ils turcs ? Malgré la haine et le mépris chronique vis à vis des arabes, le pouvoir central ne les a pas touchés, parce que musulmans. Plus proches de nous, les chrétiens du Mont Liban n’ont pas pu être atteints par la force du nombre et des armes ; la Turquie a tenté leur extermination par le blocus et la famine.
Nous pourrons multiplier les pourquoi. La seule réponse irréfutable reste : « Ceux qui ont été exécutés l’ont été parce que Chrétiens ». Combien d’entre eux ont proclamé hautement devant leurs bourreaux : « Nous ne renierons pas notre foi chrétienne. Pour le Christ nous mourrons ». Ceux qui ont été mis à mort le savaient. Ils auraient la vie sauve en se déclarant, même extérieurement, musulmans. Ils ne l’ont pas fait ; à ce titre, ce sont de vrais martyrs. Et cela s’applique tout particulièrement au P. Léonard et à ses compagnons du premier et du second convoi (11 et 15 juin 1915). Il ne reste aucun doute sur ce point : dans la pensée des autorités persécutrices, le mobile était bel et bien la haine des chrétiens et la détermination à les exterminer, à moins qu’ils ne renoncent à leur foi pour embrasser l’Islam. Le fanatisme restait à la base de tous les massacres perpétrés.
L’auteur de « Al-Qouçara », le P. Ishac Armalé, qui a recueilli tant de témoignages et qui a pu échapper au Massacre, est catégorique :
La Turquie ne nous a fait subir les injustices et n’a commis les crimes que parce que nous sommes Chrétiens et nous n’avons commis aucun crime absolument. C’est pour la religion Chrétienne bien-aimée qu’on nous a torturés, pour elle nous avons été égorgés, pour elle on a déporté nos hommes et nos femmes, pour elle nous avons subi la plus horrible des morts.23
1 Rapport du Consul Von Scheubner-Richter, daté de Mu
nich, le 4 décembre 1916, Les Mémoires de Mgr. Jean Naslian, évêque de Trébizonde, sur les événements politico-religieux en proche orient, de 1914 à 1928, Vol. I, p. 32.
2Rapport du Consul Kuckhoff, daté de Samsoun, le 4 juillet 1915, ibid., Vol. I, p. 30.
3 Les Mémoires de Mgr. Jean Naslian, évêque de Trébizonde, sur les événements politico-religieux en proche orient, de 1914 à 1928, Vol. I, p. 47.
4 Jacques Rhétoré, Les Chrétiens aux bêtes, Cerf, Paris, 2005, p. 71.
5 Dictionnaire d’Histoire et de Géographie écclésiastiques, tome IV, article Arménie, colonne 348, par François Tournebize s.j. (1856-1926), professeur au séminaire de Beyrouth, Historien de l’Arménie.
6 Jacques Rhétoré, Les Chrétiens aux bêtes, Cerf, Paris, 2005, p. 49-50.
7 Ibid., p. 92.
8 Ibid., p. 103.
9 Ibid., p. 104.
10 Ibid., p. 123.
11 Ibid., p. 124.
12 Ibid., p. 132.
13 Ibid., p. 133.
14 Ibid., p. 155.
15 Ibid., p. 180.
16 Ishac Armalé, Al-Qouçara fi nakabat annaçara, 1919, p. 144.
17 Rapport du P. Marie-Dominique Berré, 15 janvier 1919, Revue d’Arménologie Haigazian, Vol. 17, Beyrouth, 1997, p. 92.
18 Hyacinthe Simon, Mardine la ville héroïque, Maison Naaman pour la culture, Jounieh, Liban, 1991, p. 64-65.
19 Les Mémoires de Mgr. Jean Naslian, évêque de Trébizonde, sur les événements politico-religieux en proche orient, de 1914 à 1928, Vol. I, p. 43.
20 Dictionnaire d’Histoire et de Géographie écclésiastiques, tome IV, article Arménie, colonne 349, par François Tournebize s.j. (1856-1926), professeur au séminaire de Beyrouth, Historien de l’Arménie.
21 Les Mémoires de Mgr. Jean Naslian, évêque de Trébizonde, sur les événements politico-religieux en proche orient, de 1914 à 1928, Vol. I, p. 41-42.
22 Ibid., p. 38-39.
23 Ishac Armalé, Al-Qouçara fi nakabat annaçara, 1919, p. 81.