En route pour la béatification
Cross

Message

Léonard Melki, un message pour notre temps

Aux yeux du monde civilisé, le crime de la Turquie est un crime contre l’humanité. Comment justifier la mise à mort d’un million cinq cent mille chrétiens ?

Des massacres sont commis dans le monde quand une populace se déchaîne, tue, saccage et viole. Ce ne fut pas le cas pour la Turquie. Car c’était l’État turque qui arrêtait, qui torturait, et qui commandait toutes ces atrocités. Dans le cas précis de Mardine, c’était bien la police, l’armée et les gouverneurs qui déversaient leur haine sadique sur les Chrétiens. C’était beaucoup plus qu’un massacre : un génocide calculé, prémédité, exécuté de sang froid par les autorités gouvernementales. Cela est tellement évident que l’opinion mondiale en est convaincue. Le parlement français, en 2001, l’a proclamé tout haut, par souci de vérité et d’humanité.

Qu’a fait l’Église ?

L’Église Arménienne Orthodoxe a proclamé bienheureux l’ensemble de ses martyrs. Ils sont l’une de ses gloires.

L’Église Arménienne Catholique s’est penchée sur le cas de Mgr. Ignace Maloyan, et a institué un tribunal ecclésiastique pour étudier sa cause de béatification et a reconnu l’héroïcité de son martyre. La béatification entra dans le cycle des célébrations du XVIIe centenaire du christianisme en Arménie et eut lieu en la basilique Saint Pierre du Vatican, le 7 octobre 2001.

Quant au P. Léonard Melki, nous ne doutons pas que l’Église catholique accueillera favorablement notre demande de voir reconnu son martyre. Elle a déjà réjoui le Liban en plaçant sur les autels trois de ses fils :

• Saint Charbel Makhlouf, l’ermite ivre de Dieu qui, semblable à Marie sœur de Lazarre, a choisi la meilleure part, celle du dialogue amoureux avec le Bien Aimé. À travers lui, l’Église appelle ses fils à la prière, à la méditation et à ne point se laisser entraîner par l’activisme et l’esprit du monde.

• Sainte Rafqa Rayess, la religieuse souffrante portant héroïquement sa croix dans un corps désarticulé. À travers elle, l’Église appelle ses fils à sanctifier leurs souffrances, à garder devant leurs yeux les souffrances de leurs frères et à répondre avec eux à l’appel que leur lance Jésus : « Venez à moi vous tous qui souffrez », vous tous qui au Liban et en Orient avez tout souffert.

• Saint Naamatoullah Hardini, le moine prêtre directeur de conscience, formateur du clergé, administrateur et conseiller général. À travers lui, l’Église veut orienter le clergé et surtout le jeune clergé à prendre en main solidement leur préparation à l’apostolat. Elle veut aussi souligner le rôle premier du clergé pour accompagner le peuple de Dieu dans le chemin de la sainteté.

En béatifiant le P. Léonard, l’Église catholique lance plusieurs messages au monde aujourd’hui :

1. l’Église accomplit un acte de justice

Du moment que son évêque Mgr. Maloyan a été béatifié, le dimanche 7 octobre 2001, par sa sainteté le pape Jean-Paul II, pourquoi ne le serait-il pas lui aussi, qui a partagé la même prison, a été conduit à la mort dans le même convoi du vendredi 11 juin 1915, a été exécuté dans la même caravane par les mêmes bourreaux et pour les mêmes motifs anti-chrétiens, après avoir rejeté la même proposition de se convertir à l’Islam ou mourir ? Quelqu’un dirait : Et qu’en est-il des 415 autres victimes ? C’est vrai, ils sont tous implicitement martyrs. Mais aucun n’a un dossier aussi complet. Nombreux sont ceux dont nous ne connaissons que le nom. Fidèle à sa législation, l’Église Catholique est en droit de se prononcer. Ses fils n’accepteront jamais de prévenir sa décision et attendront sa sentence pour vénérer le P. Léonard comme bienheureux martyr. Jean-Paul II et Benoit XVI ont béatifié des centaines de martyrs de tous pays (espagnols, français, polonais, coréens, etc.). N’est-il pas justice de leur ajouter le Libanais Léonard Melki ?

2. l’Église appelle les chrétiens d’Orient à l’ouverture missionnaire

Nous savons que les Églises Orientales ont leurs particularités et que la situation locale confine chaque Église dans sa communauté particulière, créant parfois une sorte de repli sur soi.

Le P. Léonard, maronite par sa famille et son baptême, a été lié au rite latin par le fait de sa profession capucine. Pérégrinant dans des milieux divers —turcs à Constantinople, hellénisants à Boudja, arabes à Mardine, arméniens à Ourfa—, de culture italienne dans une Mission francophone, il est en quelque sorte universel. Le fait de son apostolat missionnaire, loin de son pays natal, est un appel au clergé oriental actuel à s’engager courageusement et généreusement dans l’envolée missionnaire, non seulement vers leurs frères disséminés aux quatre coins du monde, mais aussi vers tous ceux, chrétiens ou non, vers lesquels le souffle de l’Esprit les poussera.

3. l’Église lutte contre le prosélytisme de tout genre

On pourrait reprocher au P. Léonard son attitude plutôt agressive contre le prosélytisme protestant. Il était certainement impressionné par la crise survenue dans son village natal de Baabdath au cours de laquelle 722 fidèles maronites avaient été entraînés par la secte des «Friends» de Broummana, un village voisin. La propre famille de Léonard était du nombre de ces chrétiens ramenés au sein de l’Église Romaine par les Pères Capucins. De ce fait, lui et ses parents sont devenus catholiques latins. Et pourtant, le problème en Orient reste d’actualité pressante. Les sectes ont-elles cessé leur sabotage de l’Église, de ses croyances et de son culte ? Si les Protestants sont moins agressifs, que dire de la hargne des Témoins de Jehovah et consorts. Par complaisance œcuménique, faut-il laisser les loups déchiqueter impunément les brebis du bercail. Il faut se rappeler que nous sommes en Orient et devant une réalité inquiétante. Et pourquoi oublier le prosélytisme musulman ? On ne peut, par esprit de conciliation, oublier cette hargne des Turcs pour laisser les chrétiens devant le dilemme : l’Islam ou la mort !

4. l’Église porte une attention particulière envers les jeunes

Au cours de ses courtes années d’apostolat, la marque principale du P. Léonard fut celle d’éducateur de la jeunesse. Les succès de ses écoles, ses initiatives variées et d’avant-garde, visaient à la formation d’une jeunesse instruite et croyante. Cet objectif reste d’actualité. Face à un monde qui se lance dans la technique et le scientifique, il nous faut des éducateurs qui, tout en assurant le progrès intellectuel, étanchent la soif de spiritualité des jeunes. Le P. Léonard sera un guide en avant-garde dans ce domaine.

5. l’Église témoigne de l’esprit fraternel qui règne parmi ses membres

Une des caractéristiques de l’Ordre franciscain est la fraternité, au point que saint François, le «Poverello», dans son testament de Sienne, la déclare sa marque spéciale, avant «Dame Pauvreté». Cet esprit fraternel était déterminant dans la vie de son disciple Léonard. Bien qu’il ait bouclé sa valise pour partir et ne pas être « massacré par ces sauvages », il se reprit et resta pour ne pas abandonner son vieux compagnon octogénaire. Sa béatification confirmera encore davantage ses frères Capucins dans leur souci prioritaire de vie fraternelle. Elle sera un appel à tous à rester près des pauvres, comme ce bon Samaritain qui vint en aide à un blessé, fils d’une autre race.

6. l’Église rappelle l’attachement sans faille au Saint Sacrement

L’évêque Maloyan, dans sa paroisse d’Alexandrie, en constatant l’horreur de la profanation des Saintes Hosties survenue une nuit dans son église, écrit à son Supérieur :

Instant terrible que la tombe seule peut effacer de ma mémoire, que le bon Dieu ne montre à aucun prêtre un cas aussi lamentable. 1

Il en fut de même à Mardine. Quand les Turcs se ruèrent pour perquisitionner la maison des Sœurs, au lieu de fuir ou de se cacher, le P. Léonard, dans un rapide réflexe, n’eut en tête que celui de courir à l’église mettre à l’abri les Saintes Hosties. Ce geste impressionnera certainement tous ceux qui honoreront son martyre. Héros de la charité fraternelle, héros aussi du Saint Sacrement.

7. l’Église encourage ses fidèles à rester ferme dans leur foi

Il est à noter que le P. Léonard, bien qu’installé en milieu musulman, s’est prudemment abstenu de toute attitude hostile envers la population non chrétienne environnante. Par prudence, seuls les chrétiens étaient admis au catéchisme, à la messe, ainsi qu’aux prières à l’église. Sa réaction de refus catégorique de l’Islam s’est manifestée lorsque les Turcs ont voulu le lui imposer. Renier sa foi : Jamais. Porter un jugement sur la foi des autres : Jamais non plus. C’est pourquoi sa béatification serait un appel aux chrétiens d’Orient, de plus en plus minoritaires dans la masse de populations musulmanes, à rester fermes dans leur foi, en dépit des pressions et malgré tous les intérêts matériels ou politiques qu’ils pourraient acquérir.

8. l’Église donne l’exemple du P. Léonard pour conforter les déséspérés

Le P. Léonard écrit :

Il me coûte de passer mes jours inactif. Je souffre, je ne sais plus quoi faire. Quand je pense au ministère que j’exerçais et que je pourrais encore exercer… 2

Combien d’âmes souffrent comme lui d’un supérieur qui ne laisse rien faire de ce que nous projetons. Combien de pays bloquent, par leur fanatisme ou leur athéisme, les efforts apostoliques de ceux qui veulent promouvoir le règne de Dieu. Combien d’heures d’insomnies, de souffrances physiques et morales que rien ne soulage, pas même la force de gémir : Père que ce calice s’éloigne de moi. C’est peut-être là un des plus poignants messages du P. Léonard.

9. Le P. Léonard est plus qu’un martyr, il est un message

Sa Sainteté le Pape Jean-Paul II, à l’occasion du Synode spécial pour le Liban a déclaré : « Le Liban est plus qu’un pays, il est un message ». Nous pourrions dire de même de notre Capucin : Le P. Léonard est plus qu’un martyr, il est un message.

Message pour les trois religions monothéistes du Proche-Orient, un appel pressant pour réviser leurs attitudes réciproques : que chacun garde ses croyances, ses valeurs personnelles, que chacun reste fidèle à ce qu’il croit sincèrement être vrai. Par contre, que chacun respecte les croyances, les valeurs et la liberté de l’autre.

Qu’au lieu de se combattre, au lieu de refuser l’autre ou de le supprimer par la force aveugle et le crime, comme l’a fait la Turquie persécutrice, que tous, la main dans la main, sans arrière pensée, travaillent plutôt à supprimer le mal, à combattre la misère, l’injustice et le terrorisme, pour instaurer un monde plus religieux et plus fraternel.

Le message du P. Léonard est aussi celui du Concile Vatican II qui déclare :

Si, au cours des siècles, de nombreuses dissensions et inimitiés se sont manifestés entre les chrétiens et les musulmans, le Concile les exhorte tous à oublier le passé et à s’efforcer sincèrement à la compréhension mutuelle ainsi qu’à protéger et à promouvoir ensemble,  pour tous les hommes, la justice sociale, les valeurs morales, la paix et la liberté. 3

Puisse la béatification du martyr libanais, Léonard Melki, faire avancer l’Orient et le monde dans cette direction.

En analysant plus profondément l’âme et la vie du P. Léonard, on pourra y découvrir divers messages nouveaux. Chacun, individuellement, peut lire dans le quotidien de ce Capucin un message nouveau. 

Témoignage de Jean Paul II

Nous pensons être en droit d’appliquer au P. Léonard le témoignage proclamé par le pape Jean-Paul II, le jour de la béatification de Mgr. Ignace Maloyan, le dimanche 7 octobre 2001 :

[P. Léonard] mort martyr à l’âge de  [34 ans] nous rappelle le combat spirituel de tout chrétien, dont la foi est exposée aux attaques du mal. C’est dans l’Eucharistie qu’il puisait, jour après jour, la force nécessaire pour accomplir, avec générosité et passion, son ministère de prêtre, se consacrant à la prédication, à la pastorale des sacrements et au service des plus pauvres. Tout au long de son existence, il a pleinement vécu la parole de saint Paul : « Ce n’est pas un esprit de peur que Dieu nous a donné, mais un esprit de force, d’amour et de raison » (2 Tm 1:7).  Devant les dangers de la persécution, [P. Léonard] n’accepta aucun compromis, déclarant à ceux qui faisaient pression sur lui : « À Dieu ne plaise que je renie Jésus mon sauveur. Verser mon sang en faveur de ma foi est le plus vif désir de mon cœur ». Que son exemple éclaire aujourd’hui tous ceux qui veulent être de vrais témoins de l’Évangile, pour la gloire de Dieu et pour le salut de leurs frères. 4

Nous souhaitons aussi mettre dans la bouche du Saint Père François les paroles de Jean-Paul II adressées aux Jeunes, à l’occasion de la béatification de Mgr. Maloyan, en espérant qu’il les répète pour les Jeunes du Liban, lors de la prochaine béatification de P. Léonard :

J’adresse un salut particulier aux jeunes [libanais] demandant au Seigneur qu’ils soient des témoins courageux de l’Évangile. Au cours de ma récente visite [au Liban] j’ai pu mesurer l’attachement du peuple à la foi chrétienne, dont témoignent tant d’épisodes de son histoire. C’est aussi le beau témoignage que nous laisse [le P. Léonard]. Homme courageux et plein de foi, il a mis l’amour du Christ au centre de sa vie et de son ministère. Alors que la menace contre [les chrétiens] se faisait plus lourde, devinant l’imminence de la persécution, il a choisi, à l’exemple de S. Ignace d’Antioche, de suivre Jésus jusqu’au bout, en versant son sang pour ses frères. Son exemple invite tous les baptisés à se rappeler qu’ils ont été plongés dans la mort et la résurrection du Christ et qu’ils ont à le suivre chaque jour. 5

1 Lettre de Mgr. Ignace Maloyan au Supérieur de Bzommar, Alexandrie, 27 mai 1901.

2 Lettre du P. Léonard au P. Général, Maamouret-el-Aziz, 23 décembre 1910, Archives Générales des Capucins à Rome, Fonds H72, Privati 7.

3 Concile Vatican II, Déclaration sur les relations de l’Église avec les religions non chrétiennes, N° 3.

4 L’Osservatore Romano, 8 octobre 2001.

5 Ibid.

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...et, une fois de plus, la bure franciscaine fut teinte du sang des martyrs...
LeonardMelki
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